Dans les yeux de l’Afrique – Leïla Zerhouni
A Bruxelles, Luce, fraîchement émoulue de son école de traductrice, signe son premier contrat de travail dans une entreprise où elle doit traduire les notices qui, aujourd’hui, accompagnent toutes les marchandises. Elle s’applique à trouver les mots les plus justes afin que son texte soit intelligible par les acheteurs mais son patron, un homme rustre, vulgaire et violent, la recadre très vite en lui disant que personne ne lit ces notices et qu’elle doit travailler beaucoup plus vite afin que son poste ne soit pas une charge trop lourde pour l’entreprise. Désolée et humiliée, elle se console dans les bras du bellâtre récemment embauché mais elle se rend vite compte qu’elle n’est pas la seule à partager ses étreintes. Elle trouve un certain réconfort auprès du clandestin qui assure le nettoyage des locaux.
Quina, un Zimbabwéen migrant sans papier, lui dévoile son talent de sculpteur et lui dit qu’il souhaite postuler pour une grande école d’art londonienne. Ils se rapprochent de plus en plus sans vraiment s’avouer leur amour. Mais, un beau matin, Luce et l’ami de Quina découvre que celui-ci a disparu, qu’il est parti avec son maigre bagage tenter la traversée de la Mer du Nord pour rejoindre l’Angleterre. Dans l’impossibilité d’obtenir la moindre nouvelle, elle décide de se rendre au Zimbabwe pour y rencontrer la famille de Quina et mieux comprendre les raisons de son départ pour la grande migration.
Elle arrive dans un petit village de brousse où elle est affectée comme coopérante dans une école primaire. Elle fait la connaissance de la petite sœur de Quina atteinte d’une cataracte qui risque de la rendre aveugle un jour. La mère de la petite la rejette et n’accepte pas que son fils ait pu disparaître sans laisser la moindre trace. Quina lui-même a été repoussé par la communauté locale pour son manque de courage, plutôt de témérité, lors d’un conflit local dans lequel la jeune fiancée de son ami a été assassinée. Banni par le village il a pris le chemin des migrants. En sa mémoire, Luce décide de prolonger son séjour en faisant la promesse de sauver la vue de sa petite sœur. Elle reprend le chemin de l’école où elle poursuit sa mission en espérant convaincre la mère de Quina de lui faire confiance et d’accepter qu’elle entreprenne le processus de sauvetage de la vue de sa fille.
Ce roman est une histoire d’amour qui a à peine commencé avant la disparition du garçon, une histoire que la fille veut faire perdurer au-delà de cette disparition en s’impliquant dans le sauvetage de la vue de la petite sœur de son ami. Une histoire sur fond de la misère des campagnes africaines où règnent la violence et la pauvreté chassant la jeunesse dans le flux migratoire vers des terres soi-disant plus hospitalières. C’est aussi l’évocation du triste schéma de la migration du départ pour de tristes raisons à l’arrivée en Europe dans une autre misère : celle de l’accueil des migrants.
Ce roman c’est aussi un plaidoyer pour l’amélioration de la condition des femmes au travail et de la condition de vie des femmes africaines en charge de toutes les tâches domestiques en étant souvent que des deuxièmes épouses encore plus exploitées que les premières. De nombreuses années plus tard, la petite malvoyante en fin soignée rêve que Luce déclare : « Tes yeux, Lidiwe, ce sont les yeux de l’Afrique. Elle peut guérir, elle aussi… Un jour, si tout le monde le souhaite très fort ! ». Espérons que ce rêve devienne réalité !
M.E.O.