Nuances de nostalgie – Stéphane Bret
Le 10 septembre 2021, Eric Zemmour annonce sa candidature à l’élection présidentielle de 2022, Sylvère Ripert, bien installé devant sa télévision, s’interroge sur l’attitude du provocateur patenté du petit écran va-t-il cultiver le thème de la nostalgie de la France coloniale, forte, conquérante, innovatrice, rayonnante sur le monde, … ? Silvère se laisse doucement sombrer dans une sorte de léthargie qui l’emmène dans un rêve ou plutôt dans trois rêves successifs que l’auteur utilise pour construire ce roman qui évoque la France de l’après-guerre, celle des Trente Glorieuses et du début du XXI° siècle.
Le premier rêve emmène Silvère, fils d’une famille d’employés, alors jeune lycéen, tout au début des années soixante. Les années qui ont vu arriver le nouveau franc, l’empire colonial de la France se déliter et disparaître, l’apparition des grands équipement structurants : autoroutes, barrages, . c’est la France conquérante, innovante, entreprenante, celle qui construit des grands bateaux, des avions commerciaux performants, des avion de chasse équipant de nombreuses armées de l’air dans le monde. C’est aussi la France qui voit ses artistes de music-hall changer, les anciens poussant la chanson française laissent de plus en plus la place à des jeunes, voire des très jeunes, qui massacrent à qui mieux mieux des standards venus de de l’autre côté de l’Atlantique. La musique afro-américaine prend la place de la chanson française. La reconstruction des villes et des campagnes, l’effacement des stigmates et blessures de la guerre demandent des efforts colossaux mais provoquent un puissant essor économique. A la fin des années soixante la France est en ébullition, la jeunesse exulte mais la croissance aspire l’économie et l’emploi.
Dans le deuxième rêve, Silvère, alors jeune employé de banque, fait le forcing pour gravir à marche forcée les échelons de la hiérarchie de l’établissement qui l’emploie. Il assiste au cataclysme électoral qui emmène la gauche au pouvoir. C’est la France de Tonton comme diront les humoristes, la France qui nationalise les banques à la grande inquiétude de Silvère… c’est la France des grandes avancées culturelles : les radio libres, les chaînes de télévision privées, la FM, Bernard Pivot, Michel Polac et beaucoup d’autres encore. Un élan culturel qui entrainera dans son sillage une libération des mœurs et une affirmation des libertés individuelles. C’est aussi l’ère de la vitesse : Concorde, TGV, RER, etc… Silvère fait une belle carrière dans la banque tout en se rapprochant des partis au pouvoir.
Le dernier rêve emmène Silvère dans un chaîne d’information en continue d’un groupe de presse privé où il exerce la fonction de journaliste accrédité auprès du Parti Socialiste. Ainsi, il assiste à la débâche de Jospin et du PS qui marque la fin d’une ère politique et sociale. C’est aussi la fin du monde ouvrier et de ses grandes institutions associées avec, en corollaire, l’apparition d’une nouvelle société mondialisée fondée sur la consommation et la marchandisation, une société dans laquelle les grands financiers accaparent une grande partie du pouvoir réel. La finance a étouffé le politique et manipule l’économique et le social. L’extrême-droite a le vent en poupe dans de nombreux pays. Ce nouveau millénaire voit apparaître un autre monde en même temps qu’un autre climat issu de la surexploitation des ressources naturelles, et de la surconsommation généralisée.
Dans ses rêves Silvère a parcouru l’espace d’une vie, de la mienne par exemple, il a montré comment du tas de ruines laissé par les guerres en 1945, le monde se retrouve au début d’un nouveau millénaire avec des problèmes très préoccupants que la génération disparaissant laisse à ses enfants avec le soin de les résoudre. Trois mots suffisent à décrire cette période : « explosion », « accomplissement « et « débordement ». La reconstruction du pays a provoqué l’explosion de l’économie dans les années soixante et soixante-dix, celle-ci s’est confirmée et accomplie dans la décennie suivante avant que le débordement des finances supplante l’économie au début du nouveau millénaire. Faut-il avoir la nostalgie de cette période ? L’exergue, placée au début de ce livre, empruntée à Fernando Pessoa pourrait nourrir la réflexion sur ce sujet : « Nostalgie de ce qu’i n’a jamais été ; désir de ce qui aurait pu être ; regret de ne pas être quelqu’un d’autre ; insatisfaction face au monde. … »
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