Reste si tu peux, pars s’il le faut – Helga Flatland
Dans un village perdu de Norvège, où certains parlent encore le dialecte, Tarjei vit avec sa sœur Julie et leurs parents éleveurs de taureaux pour la boucherie. Il n’aime pas cette activité qui sent la mort mais pour ne pas décevoir sa famille, il décide de poursuivre ses études au lycée agricole et ainsi perpétuer le destin de son lignage dans le village. Son père lui transmet tout le savoir nécessaire et l’initie à toutes les activités de la ferme y compris la chasse à l’élan même s’il n’a pas l’âge requis pour cette pratique. Une de ces parties de chasse tourne au drame quand il abat l’un des habitants du village qui échappe miraculeusement à la mort. Son père endosse la responsabilité de cet acte afin de le protéger de la communauté et de la culpabilité.
Seul son beau-frère a compris sa culpabilité mais ne dit rien, toute la famille vit avec ce drame et la victime se rétablit miraculeusement. Tarjei et ses amis veulent quitter ce trou perdu où il n’y a rien à faire. Lui, Il veut fuir sa faute, oublier sa culpabilité, s’éloigner de sa famille, prendre sa vie en main sans supporter le poids de son père sur ses épaules, …, Ils décident donc, après leur service militaire de partir pour l’Afghanistan où l’aventure est assurée et la solde fort conséquente. Mais, le drame survient vite, le véhicule à bord duquel ils voyagent, saute sur une mine, ils sont tués tous les trois.
Avec le décès de ces trois jeunes, le village subit un lourd traumatisme, le père de Tarjei ne se remet pas, Julie, sa sœur, reprend la ferme avec l’aide de Jon Olaf un ami de son père en retraite. C’est à ce moment que celui-ci prend la plume pour raconter comment il a vécu cette histoire, sa vie avec Ingrid et leur fils Sigurd qui ne surmonte pas le drame, il ne parle plus, vit en reclus, il ne supporte pas la séparation d‘avec l’un des trois jeunes. Après Jon Olaf, c’est Karin, la mère de Tarjei qui raconte son histoire à elle, comment elle est tombée amoureuse, comment elle est venue à la ferme avec Hallvard, la longue dépression qu’elle a traversée après sa seconde grossesse, sa difficulté à s’intégrer dans cette famille, dans cette communauté, dans ce village…
Et pour finir c’est l’une des trois victimes qui prend la plume, Trygve, le moins brillant, le moins doué, celui que l’on ne sollicite jamais mais qu’on évite souvent. Trygve qui a trouvé l’amour auprès d’un garçon qui le repousse car il ne veut pas admettre son homosexualité et encore moins la révéler publiquement. Les quatre narrateurs racontent l’histoire à l’envers en commençant pas sa triste conclusion, chacun révélant une partie plus ancienne que celle rapportée par le précédent. Ce texte raconte la vie dans un village perdu de Norvège que de nombreux habitants cherchent à fuir pour rejoindre la ville mais où d’autres s’accrochent avec passion. Cette histoire est pleine de non-dits, de vérités masquées ou tues, de petits secrets qui pèsent bien lourds… Le drame frappe violemment cette communauté où chacun subit un fort traumatisme, vit son deuil ou construit sa résilience en se demandant comment et pourquoi cette guerre d’un autre monde, d’u autre temps, a pu frapper avec une telle violence un petit village vivant ses petits drames, ses petites histoires, ses grandes et petites joies…
Ce texte a une certaine dimension initiatique, les narrateurs expliquent, tour à tour, la construction d’un couple, d’une famille, d’une communauté, argumentent le choix de « l’ailleurs » ou du « là » : s’enterrer dans un trou ou fuir loin au risque d’y rencontrer la mort. J’ai retrouvé dans ce texte l’atmosphère du roman de Per Petterson : « Pas facile de voler des chevaux ».
L’Aube