28 décembre 2022 ~ 0 Commentaire

Les mots de Russie – Isabelle Bielecki

Cet opus est le premier tome d’une trilogie dont j’ai déjà lu le troisième, « La Maison du Belge », qui raconte la vie sentimentale de l’héroïne. Cette trilogie comporte un autre tome, le deuxième, « Les Tulipes du Japon », qui évoque la vie professionnelle de l’auteure quand elle travaillait dans une grande société nipponne. Les tomes deux et trois de cette trilogie ont été édités chez M.E.O., le premier l’avait été chez un autre éditeur mais comme il n’est plus disponible en librairie, M.E.O. a décidé de le rééditer pour que cette trilogie soit accessible aux lecteurs dans sa son intégralité chez le même éditeur.

« Les mots de Russie » évoque l’enfance, la jeunesse et un peu de la maturité de l’auteure, surtout la façon dont elle s’est construite dans un milieu très compliqué marqué par la violence subie et la violence infligée. Elisabeth, c’est le nom de l’héroïne, est la fille d’un couple qui a traversé la guerre dans des conditions très difficiles. Le père, russe de naissance, officier dans l’armée rouge, a connu la guerre, la captivité et la déportation dans les camps de la mort. La mère, polonaise d’origine, a été capturée par les Allemands et intégrée dans une ferme où elle était mal traitée, mal nourrie, battue et obligée de travailler très durement. La mère se retrouvant enceinte, le père accepte de s’occuper de cet enfant dont il est le père biologique, et accompagne la mère dans son exil en Belgique où il vive très chichement mais dignement. Le couple fonctionne mal, la mère est alcoolique, le père violent quand il est en colère.

Eva, la mère, ne supporte pas sa fille, elle voulait avorter, selon le père elle aurait tenté de l’étouffer, selon une mauvaise interprétation de la fille elle aurait voulu la tuer, très régulièrement, elle l’a violemment tabassée. Elisabeth se construit donc entre une mère violente et alcoolique et un père un peu mythomane, nostalgique de son pays et de son armée, marqué par les violences qu’il a subies et que personne ne veut reconnaître. Il compte sur sa fille pour écrire son histoire mais sa mère s’y oppose violemment, elle craint que le père y évoque des choses tout aussi néfastes pour elle que pour la famille et les amis qui la soutiennent. Eva et son mari, Victor, ont tous les deux intérêt à masquer certaines parties de leur histoire. La mère aurait eu une relation à la libération alors que Victor n’a pas perdu ses idéaux communistes en passant à l’Ouest.

Elisabeth se débrouille au sein de cette famille mal assortie pour esquiver les coups et surtout pour essayer de comprendre l’histoire de chacun pour construire la sienne. L’épreuve est difficile, il lui faudra recourir à de très nombreuses sources pour finir par comprendre ce que furent réellement ses parents et pourquoi elle-même a subi de longues années d’amnésie partielle. Une histoire qu’elle devra écrire pour pouvoir vivre encore, comme son père le voulait et comme sa mère le lui interdisait.

Ce texte, en grande partie autobiographique, est d’une grande force, le récit est puissant, il ne masque rien, met les mots les plus forts là où il le faut pour que le lecteur accepte bien toutes les violences qu’il décrit. Isabelle Bielecki construit son texte non pas comme un récit ou une biographie mais comme une suite de coups, d’humiliations, de sensations, d’émotions, de sentiments, de ressentis, de découvertes, …, pas forcément chronologique, et aussi comme une suite de questions souvent sans réponses. Le lecteur vit dans la tête et les tripes de cette fille torturée. Ce livre c’est l’histoire de ceux qui sont sortis brisés de la machine infernale de la guerre, l’histoire aussi de leurs descendants à qui ils ont transmis leur passé avec tout ce qu’il comporte,  leurs douleurs, leurs cicatrices, leurs traumatismes, leurs fautes inavouées, leurs secrets plus ou moins glorieux…

La guerre ne fait pas que des morts et des gueules cassées, elle laisse aussi de nombreux traumatismes psychologiques qui se transmettent parfois pendant plusieurs générations. Ayant lu le tome trois de cette trilogie, je sais qu’Elisabeth, Isabelle, a porté pendant de longues années le lourd fardeau que ses parents lui ont laissé en héritage.

M.E.O.

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