14 novembre 2022 ~ 0 Commentaire

Une colonne pour le paradis – Philippe Fiévet

Philippe Fiévet, pour mettre en scène l’histoire d’Antioche au V° siècle, rapporte les propos que deux témoins que tout oppose, à des enquêteurs qui resteront inconnus. Ceux-ci interrogent tout d’abord Alef, un très vieux moine né muet à Antioche en 410 et ensuite la servante de Rufin un patricien romain ayant fui Rome détruite en 415 par les Goths. Alef raconte la vie de Paphnuce moine comme lui mais plus âgé qui quitte son monastère pour s’isoler dans le désert.

A cette époque, la chrétienté réduit les derniers foyers de paganisme et de nombreux moines, ermites, anachorètes, stylites et autres reclus choisissent le dénuement, la souffrance, la frugalité dans l’isolement. Ils sont considérés très souvent comme des saints, des intermédiaires entre les croyants et Dieu. Paphnuce est un condensé de tous ses reclus, il quitte son monastère pour vivre dans une profonde citerne avant de se faire enchaîner à un rocher pour finalement s’installer sur une colonne où il sera tour à tour persécuté et adulé et même adoré. Il changera de colonne deux fois pour à chaque fois monter sur une plus haute, plus près du ciel, plus loin des malheurs et péchés terrestres. Rufin patricien romain débauché a lui quitté Rome pour échapper au saccage des hordes d’Alaric, sa servante raconte la vie de débauche menée à Constantinople qu’il quitte sous la menace avant de se réfugier à Antioche où il rencontre une belle comédienne qui devient son épouse.

Alef et la servante racontent les fastes de l’Orient qui brillent particulièrement à Antioche vile réputée pour sa joie de vivre et son riche patrimoine où la foi chrétienne s’exprime souvent à travers une forte spiritualité et des pratiques extrêmes comme celle de Paphnuce. Mais cette belle époque connaît un déclin tragique notamment à l’occasion d’un tremblement de terre d’une grande violence qui détruit une bonne partie de la ville dès lors Alep lui volera la vedette dans cette partie de l’Orient.

L’histoire de Paphnuce et de Rufin, c’est l’histoire d’Antioche au V° siècle avec son versant et religieux et spirituel d’une part qui symbolise la christianisation de cette partie des empires et royaumes orientaux, et d’autres part, avec Rufin, le luxe et la luxure des empires décadents notamment la disparition de l’Empire romain de la partie orientale de la Méditerranée après la prise définitive de Rome par Genséric en 455. C’est aussi une façon de rappeler que l’histoire n’est qu’un éternel recommencement et que la situation que connait le Moyen-Orient aujourd’hui n’est pas très éloignée de celle qu’il connaissait au V° siècle. Cette lecture m’a rappelé le livre de Glen W. Bowersock, « Le trône d’Adoulis » qui en évoquant les guerres de la mer Rouge à la veille de l’islam dresse une cartographie politique de cette région, juste après la fin du roman de Philippe Fiévet. Le déclin des grands empires constatés par Browersock au VI° siècle était déjà bien visible au V° siècle et ce roman le montre bien.

Antioche a connu l’extrémisme et les violents conflits religieux qui se déchaînent toujours dans cette région de la Méditerranée, la spiritualité y a toujours une place mais surtout dans le monde musulman. Les Perses ont laissé la place aux Iraniens qui cherchent toujours à imposer leur pouvoir à leurs voisin occidentaux. Le bouillonnement provoqué par la naissance successive des grandes religions monothéistes agite perpétuellement cette région. Philippe Fiévet le montre bien à travers ce roman qui s’inspire des textes anciens et met en scène des personnages historiques même s’il arrange leur biographie à sa façon et leur donne un rôle qu’ils n’ont pas forcément eu. Peu importe les événements, le fond reste fort crédible, la Méditerranée orientale prenait déjà la configuration géopolitique qui allait favoriser, au VII° siècle, la foudroyante conquête musulmane.

Je pourrais conclure ce commentaire par le clin d’œil à la Reine de Saba que j’ai déjà mis en conclusion à ma chronique du livre de Bowersock : « Du haut de son paradis, la Reine de Saba qui visita le Roi Salomon, doit sourire, elle reste très présente dans la légende éthiopienne aussi bien que dans l’histoire perse ou que dans l’épopée biblique. Elle était au confluent de toutes les puissances de la région : chrétiens d’Ethiopie, juifs d’Himyar, Sassanides de Perse et autres tribus encore. Elle doit cependant soupirer en voyant tous les enfants qu’elle a fait rêver, s’entre déchirer à propos de différences qui n’en sont pas. Et si tous ces peuples en guerre perpétuelle priaient tous la Reine de Saba pour obtenir la paix éternelle ? ».

 M.E.O.

 

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