Agdez, dernière page – Daniel Soil
Johannes V., citoyen néerlandais expert pour les Nations Unies, en mission au Maroc, a été assassiné dans sa maison de Rabat. L’auteur de ce méfait semble être particulièrement mince, il se serait faufilé entre les barreaux protégeant une fenêtre. Certains se demandent si la minceur de l’assassin n’est pas une métaphore du choc nord-sud évoquant le gouffre entre la maigreur des uns et l’embonpoint des autres. Jean, citoyen belge, est missionné pour conduire une enquête parallèle, officieuse, assurant que les conclusions de l’enquête officielle établissent les raisons réelles ayant provoqué cet assassinat. Johannes était un fonctionnaire un peu marginal qui fréquentait tous les citoyens surtout les plus démunis et même les candidats à l’émigration rodant dans les bois.
Arrivé à Rabat, Jean rencontre la jolie Aïcha qui lui servira de traductrice tout au long de son séjour marocain. Il n’est nullement insensible à son charme. Elle l’accompagne de réunions officielles, en cocktails plus ou moins huppés, en passant par des spectacles plus ou moins incontournables (certains sont financés par le régime d’autres sont plus simplement totalement amateurs), des rencontres plus ou moins fortuites, des visites plus ou moins touristiques. A ces occasions, Aïcha lui permet de se plonger dans le monde de Johannes, de rencontrer des gens qui ont connu Johannes, des gens qui ont partagé son engagement… « J’ai réalisé la chance que j’avais d’être, grâce à Aïcha, admis peu à peu au sein d’une société civile complexe, faite de femmes et d’hommes, couards ou courageux, actifs ou oisifs. Certains Occidentaux appréciant les gens d’ici, d’autres les détestant pour leurs immémoriales manières d’être ».
Ainsi, grâce aux relations d’Aïcha, Jean pénètre de plus en plus profondément les arcanes de la société civile marocaine. Il semblerait même que la jeune femme cherche à guider le fonctionnaire belge vers un but qui lui tiendrait à cœur, comme si elle connaissait la solution de l’énigme sans pouvoir l’évoquer. Celui-ci s’attache de plus en plus à la jeune femme dont il est amoureux, elle, elle joue un jeu ambigu, une sorte de cache-cache sentimental enchaînant les gestes encourageants et les refus d’en accepter plus, comme si quelque chose entravait ses sentiments et ses désirs. Et si dans le meurtre de Johannes des raisons personnelles se mêlaient aux mobiles politiques ?
Daniel Soil, diplomate belge lui aussi, était en poste en Tunisie au moment du Printemps arabe, il en a tiré un roman, « L’Avenue, la Kasbah » que j’ai eu le plaisir de lire et de commenter. Avec ce nouveau texte, c’est la complexité de la société marocaine et les pouvoirs contradictoires qui l’animent qu’il évoque. Dans son texte, il rencontre tous ceux qui peuvent constituer une forme de contre-pouvoir sans pour autant constituer un front uni. De nombreux clivages existent autour d’idéologies politiques, de théories économiques et surtout des diverses religions et de leur tout aussi diverses interprétations. Le clivage entre les sexes est peut-être le plus fort, les femmes veulent leur part de pouvoir même si en sous-mains, elles jouent déjà un rôle important dans la société marocaine. Elles tiennent une place importante dans ce texte et le héros, Jean, n’est surtout pas insensible à leur charme, surtout à celui de la jolie interprète.
Ce texte éclairera tous ceux qui cherchent à mieux connaître la société marocaine dans ses composantes, ses aspirations, ses forces, ses faiblesses, …, tout en leur racontant une belle histoire d’amour sur fond d’une insolite enquête pas très officielle mais très éclairante. J’ai retenu aussi dans ce texte, la forte envie, l’énorme besoin, le rôle fondamental de l’instruction dans une société encore un peu fermée autour d’un pouvoir fort et de religions un peu sclérosées.
M.E.O.