Suiza – Bénédicte Belpois
Tomàs un riche paysan galicien propriétaire de tout le village, un campagnard fruste et brutal, bosseur et cultivé, il a suivi des études supérieures, ne s’est jamais remis du décès de sa femme, seule la bouteille peut soulager sa douleur lors des beuveries qu’il s’autorise un peu trop souvent avec son vieux et fidèle commis. Un véritable fauve toujours prêt à se jeter sur sa proie qu’elle soit un adversaire belliqueux ou une femme trop aguichante.
Un jour sa route croise celle de Suiza, un nom que les villageois lui ont donné car elle ne parle pas l’espagnol et n’est pas très dégourdie, elle est même un peu attardée, son père ne manquait pas une occasion de le lui rappeler. Les villageois ont cru qu’elle venait de la Suisse et l’ont donc affublée du nom de Suiza mais en fait, elle est pontissalienne comme l’auteure, habitante de la petite ville de Pontarlier à quelques kilomètres de ma maison natale, tout près de la frontière Suisse. Elle n’est certes pas très intelligente, mais elle a un véritable sens pratique et une belle adresse manuelle. Elle ressent les choses plus qu’elle ne les comprend. Elle est comme un petit animal qui ronronne quand on la caresse, elle ne griffe jamais et certains l’ont vite compris. Un jour, elle décide d’aller voir la mer, au foyer, certaines lui ont dit qu’elle était en Espagne, alors elle s’est mise en route pour l’Espagne, en stop…
Elle a échoué dans ce petit village galicien proche de Lugo où elle a trouvé un petit boulot de serveuse dans le bistrot qui sert de refuge à Tomàs. Et, quand le fauve a croisé la biche, il est tombé en rut, il s’est jeté dessus pour se l’approprier et en faire sa femelle dominante. La biche n’a pas protesté, sa grande douceur et sa tendresse ont vaincu l’animal, foudroyé par un véritable coup de foudre. Il en a fait sa compagne, sa femme même s’il ne l’avait pas épousée, la biche avait apprivoisé le fauve. Ils ont alors commencé une histoire commune… Mais celle-ci se complique car le crabe guette le fauve qui se réfugie dans le déni sans pouvoir renier l’éventualité d’une échéance fatale et proche.
C’est une jolie histoire d’amour entre deux contraires qui s’attirent, elle recèle toute la violence animale que l’amour peut contenir et déborde d’une émouvante tendresse. Bénédicte a su trouver les mots pour dire la splendeur des paysages, la rusticité des personnages et le débordement des sentiments qu’ils soient dans la force ou la douceur. Ses paysages sont plus attirants que ceux dépeints par les meilleurs dépliants diffusés par les organismes chargés de promouvoir la région, ses personnages sont plus vrais que nature, truculents, excessifs, esclaves de la terre qui est leur seul moyen d’existence, tous en dépendent même ceux qui ne peuvent compter que sur la générosité des autres. Ce récit donne une vraie vie à ce coin de Galice et à ceux qui l’habitent. Bénédicte a le sens du langage, c’est lui le véritable moteur de ce texte, les formules qu’elles inventent, les mots qu’elle met dans la bouche de ces gens simples, proches de la nature, des réalités, vivant dans leur quotidien sans se projeter plus loin, se dégustent plus qu’ils ne se lisent !
Ce langage vif, coloré, direct, fondé sur un vocabulaire proche du parler, enrichi de termes d’une grande richesse, d’une grande justesse et surtout d’une belle saveur donne à ce texte, au-delà de la vie dont il déborde, une véritable âme qui se reflète dans les mœurs, les coutumes, les travers, les qualités de ses personnages qui semblent directement poussés dans le sol de leur région. Une histoire d’amour romantique comme on en écrivait au XIX° siècle, mais mitonné à la sauce du réalisme, en l’occurrence cru et même cruel, qui a sévit juste après. Sans oublier toute la modernité qui assaisonne le langage et lui donne toute sa vigueur et son charme.
Gallimard