Limitation de la poésie – André Stas & Eric Dejaeger
André Stas et Eric Dejaeger, comme chacun le sait désormais, sont deux grands spécialistes de la forme courte, c’est du moins à travers leurs ouvrages consacrés à ce type de littérature que j’ai découvert leur talent respectif et que j’ai apprécié leurs écrits. Ils ont réuni leurs deux talents pour relever un défi qu’ils se sont lancé eux-mêmes avec l’appui de leur éditeur ami (« éditeur ami » est l’anagramme de « Dieu maître » dirait Paul Weber mais, en l’occurrence, je n’en suis pas convaincu, ces « anars » de la plume n’ont pas plus de maître que de dieu). Ce défi consiste à proposer une parodie de poèmes classiques ou de chansons à texte et à succès pour en faire des « popoésies ». Le projet embrasse un millier de vers, une épreuve titanesque, une époustouflante performance de plume et, je parierais, un chantier … dionysiaque.
Pour bien comprendre leur projet, je citerai les propos du préfacier qu’ils ont dissimulé sous un pseudonyme qui évoque un autre contrebandier du texte, cette signature est de Jules Scouflaire (apparemment il n’en manque pas !). Donc, Jules précise : « L’un des complices choisira le texte de base avec les astreintes du 1er vers, l’autre complétera, assorti du deuxième et de ses obligations, etc., ceci alternativement… ». Ainsi, ils ont parodié une centaine de textes bien connus, célèbres même, en en recopiant la première strophe pour que chacun puisse l’identifier et en proposant ensuite, selon les règles et contraintes qu’ils ont définies, dix autres strophes de leur propre cru. Un cru qu’on dirait puisé dans le champ sémantique des paillardes estudiantines ou des chansons de corps de garde mais surtout dans le jus secrété par l’esprit particulièrement créatif de ces deux aventuriers de la poésie revisitée, mise au goût du jour, transformée en « popoésie ».
Comme je ne suis pas convaincu que vous ayez tous bien compris la finesse des contours de cet audacieux projet, je vous propose ci-dessous les deux premières strophes de deux textes que j’ai choisis arbitrairement : la parodie de l’Albatros de Baudelaire et celle de la Chanson des vieux amants de Jacques Brel :
« Souvent, pour s’amuser, les hommes d’équipage
Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,
Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
Le navire glissant sur les gouffres amers.
Souvent, pour s’esbaudir, se vautrant sur un page,
Lui faisant gonfler l’os, poussant des cris pervers
Qui échauffent le sang, entrouvrant leur corsage,
Les reines au trou béant prennent un pied d’enfer »
…
« Bien sûr, nous eûmes des orages
Vingt ans d’amour, c’est l’amour fol
Mille fois tu fis ton bagage
Mille fois je pris mon envol
Fort dur, je l’eus, c’est trop dommage,
Au petit jour dans l’entresol
Millaud cherchait Gault sur la plage,
Tout pantois, suçant un Menthol. »
Maintenant, vous avez tout compris, vous imaginez sans difficultés l’ampleur, la pertinence et la qualité du projet, il ne vous reste plus qu’à vous jeter dans sa lecture mais comme le recueil est fort copieux vous ferez sans doute comme moi, vous laisserez le livre sur le coin de votre table et quand l’envie, ou le besoin, de s’éclaircir les idées se manifestera vous en lirez quelques textes. C’est excellent pour la santé mentale surtout en période de confinement.
Les auteurs disent se moquer de tout mais soyez bien sûr qu’ils connaissent parfaitement les règles littéraires et particulièrement celles du sonnet classique.
Cactus inébranlable éditions