Ne vous ABC jamais – Jean-Claude Martin
Comme un encyclopédiste Jean-Claude Martin a rassemblé le savoir sous forme d’un abécédaire. Pour chaque lettre, il a écrit une sorte de présentation, mettant en valeur tous les qualités et défauts qu’il lui semble bon de prêter à chacune d’elles. Pour l’exemple, j’ai pris au hasard la présentation de la lettre « P », voici donc comme il la définit :
« Doit-on lâcher P et l’abandonner en rase campagne, pour qu’il n’incommode plus personne ? Ce serait lâche, et on y perdrait aussi paix et paie. Entre paillasse et purin, il y a des P qui méritent qu’on les entende, qu’on les sente, qu’on les fête, qu’on les honore ! Oublions donc pétoire, pétaudière, et le triste maréchal Pétrin, pour laisser P s’envoler comme un papillon au paradis des passiflores, pénard comme un pélican, pétillant tel Dom Pérignon, poétique et pyramide, pénétrant … »
Jean-Claude Martin a beaucoup d’humour mais aussi un brin d’impertinence, il joue avec virtuosité du jeu de mots, du calembour, de l‘allusion, de l’assonance, de l’allitération. Il sait débusquer la moindre faille dans le langage, dans son utilisation, pour introduire un double sens, un contre sens, une incongruité, un paradoxe, une inconvenance, un fou rire, …, et même parfois un éclat de rire. Mais Il ne limite pas son chant à la rigolade, il déverse aussi dans ses définitions son immense culture et son grand savoir et beaucoup de poésie.
Il mobilise toutes sa riche culture et tout son talent poétique pour définir les mots qu’il associe à chacune des lettres, les mots le plus couramment usités ou au contraire des mots presque disparus comme « frusquin » qui ne sort plus sans son saint. Pour vous montrer un exemple, j’ai choisi un mot bien courant, utilisé à plusieurs fins : « gorge », en voici sa définition selon Jean-Claude Martin :
« Gorge, hélas, attire tout, « dans » et « sous » : un chat, le cœur, un couteau, un pistolet… On la prend, on la serre, on l’échaude, on lui fait rentrer des mots dont elle n’a pas besoin, on la fait rendre… Heureusement on inventa… soutien-gorge. Elle put alors se déployer, rire et exposer aux yeux du monde sa beauté. Certains décolletés sont de véritables sopranos. « Gorgeous » disent les Anglais. A déguster par longues, lentes et tendres gorgées. Gorge est sauvée… »
Lire cet abécédaire, c’est non seulement mesurer toute l’étendue des capacités de notre langue, c’est aussi constater comment son usage la fait évoluer et la rend vivante, de plus en plus vivante. Merci Jean-Claude de nous avoir prêté, le temps de cette lecture, une part de ton immense érudition.
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