Charlie Chaplin – Le rêve – Adolphe Nysenholc
Avec cet essai Adolphe Nysenholc, grand spécialiste de Charlot et auteur de nombreux ouvrages de référence sur ce personnage et son créateur, cherche à démontrer toute la part de rêve qu’il y a dans l’œuvre et dans la vie de Charlie Chaplin. Le célèbre cinéaste a eu une enfance bien compliquée qu’il a toujours cherché à fuir et oublier notamment en répondant à l’appel du rêve américain. Il a rêvé de réussir à Hollywood, de devenir riche, de pouvoir offrir une meilleure vie à sa mère ayant sombré dans l’alcoolisme et la folie, de reconstituer une famille qui le fuit, son père quitte sa mère mais n’est peut-être pas son père génétique. La situation familiale est bien compliquée, Charlie Chaplin rêve d’avoir une famille stable et des origines claires et incontestables, ce qui ne sera jamais le cas, le doute plane encore sur l’identité de celui qui l’a engendré. « Du type qu’il a créé un jour est issue toute son œuvre muette comme « parabole » de son temps. Le récit chaplinien aura été la légende de son image. »
L’auteur décortique toute l’œuvre de Chaplin, au-delà de ses Charlot, au-delà de ses films, ses écrits et surtout sa vie. Il démontre que le rêve fait partie intégrale de son existence. Il met en parallèle Chaplin l’auteur, metteur en scène, comédien et Charlot le personnage qu’il a créé. Chaplin a rêvé d’avoir une vie meilleure et pour cela, il a travaillé très dur, à fait preuve de beaucoup d’exigence, de ténacité, de perfectionnisme et de patience pour parvenir à concrétiser son rêve. Il a fait preuve d’un pragmatisme sans concession pour réaliser ses rêves. Et même si Charlot, semble à l’opposé de son créateur, il est lui aussi un grand rêveur toujours en butte avec la société ou les éléments, il subit mais finit souvent par triompher grâce au sort qui lui est souvent favorable. « Tout le cycle Charlot est la réalisation d’un désir refoulé : être héros, conquérir l’aimée, être aimé de sa mère ».
L’auteur dénoue les fils de l’ambiguïté qui relient Charlot à son créateur. Charlie Chaplin est né dans cette ambiguïté, « … le fait de porter le même nom et prénom que l’homme dont il n’est pas sûr d’être le fils est peut-être la source où son art puise son ambiguïté. D’autant plus qu’il ignore si sa mère, qui a eu et aura plusieurs amants, a été infidèle à son époux… » Cette ambiguïté se retrouve dans le personnage de Charlot gentleman en haut, redingote ajustée et chapeau melon, et clochard en bas, pantalon beaucoup trop large et chaussures bien trop grandes et éculées. Charlot est un personnage complexe que Charlie Chaplin définit comme « … personnage a plusieurs facettes : c’est en même temps un vagabond, un gentleman, un poète, un rêveur, un type esseulé, toujours épris de romanesque et d’aventure… » Chaplin rêvait de réussir, il a créé un personnage de rêveur dont beaucoup d’aventures se réalisent dans le rêve, le sien, celui d’un autre, ou dans une forme quelconque d’inconscience. « Dans un univers sans bruit, son corps mime le silence des rêves. Sans famille ni foyer, il parait hors du réel. Et errant, il est une créature sans projet de vie, contrairement à son créateur qui le lance délibérément dans des aventures ».
Selon le préfacier, Francis Bordat, « Ce nouvel essai apporte des réponses originales à nombre de question, voire à quelques mystères qui font toujours débat dans la critique chaplinienne ». Si quelques questions demeurent encore en suspens, il est des réalités qui ne sont pas contestables, Charlie Chaplin a réussi quelque chose de grand, de très grand, il a créé le personnage le plus emblématique de tout le cinéma mondial depuis son invention par les frères Lumière. Il s’est affranchi de tous les progrès de la technologie pour réaliser des films d’une qualité extraordinaire au succès mondial. Il a réalisé une œuvre intellectuelle qui pourrait-être littéraire, en n’utilisant pas le langage, sans toutefois le supprimer car les mots essentiels sont dans ses images et dans ses silences comme ils pourraient être dans des aphorismes fulgurants. « Le maître du muet qui s’était fait un prénom s’est aussi fait un nom, avec lequel il signe la légende du siècle. »
« Mais Chaplin qui a rêvé sa vie, a-t-il vécu son rêve ? » s’interroge le préfacier. Seul lui aurait pu répondre à cette question. Tout ce que je peux affirmer c’est que quand j’étais un môme, Charlot m’a fait rêver chaque fois qu’une petite bobine était projetée sur l’écran sommaire du patronage qui nous accueillait. Et, plus tard, devenu adulte, je rêve tout autant chaque fois que je vois un de ses films majeurs à la télévision ou au cinéma. Pour moi Chaplin restera toujours un immense poète, un cinéaste de génie et un grand humaniste. Il avait compris les hommes et peut-être encore mieux les femmes.
M.E.O.