07 octobre 2018 ~ 0 Commentaire

Natchave – Alain Guyard

Au bout de quelques pages seulement, j’ai revu les images du DVD, La philosophie vagabonde, que Yohan Lafort a consacré à Alain Guyard et à sa pratique de la philosophie ambulatoire. En effet, comme la médecine développe la chirurgie ambulatoire, Alain Guyard, lui, pratique la philosophie ambulatoire, portant la bonne parole là où on l’attend le moins mais là où elle apporte le plus. Ce DVD est une façon de mettre en images les pensées que le philosophe expose dans le présent ouvrage Dans cet opus, il explique sa démarche, la précise, la formalise, lui donne des racines, une généalogie et une famille… Natchave, prendre la route, mettre les adjas, aller voir ailleurs, la philo vagabonde comme un manouche sans contraintes de lieu à rejoindre, de temps à respecter, de production à assurer.

Pour conduire sa démonstration Guyard convoque Socrate celui qu’on nous présente régulièrement comme un notable bien étable, « petit père bedonnant aux yeux d’écrevisse, au mariage malheureux et aux vêtements à l’hygiène douteuse, Socrate, qui … n’a quitté son trou que pour faire son service militaire, Socrate, de tous les hommes est le plus sage…  Qu’aurait-il besoin de partir en voyage, cet homme-là ? » Tous semblent avoir oublié que Socrate a effectué un long séjour en Thrace à l’époque où cette région n’était pas peuplée de Béotiens mais de rustres peut-être encore moins cultivés qui lui ont enseigné tout ce que l’école ne lui a pas appris : la science des chamans.

A leur contact il a compris que le savoir académique, les rites cultuels et la théogonie mythologique n’étaient pas seulement une nourriture pour érudits, cruciverbistes et sophistes en tout gendre mais d’abord une tentative de compréhension et de domestication des forces qui gouvernent le monde sans qu’on puisse les maitriser. Une tentative d’organisation et de structuration de la société fondée sur le savoir transmis de génération en génération par ceux qui savent, les initiés, les chamans, tous ceux qui ont accepté de croire en l’inexplicable et de se l’approprier. Tout ce savoir qui ramène toujours à la caverne, pas à celle de Platon, mais plutôt à celle des qui abritaient les premiers hommes déjà confrontés aux nécessités conditionnant leur survie.

Dans les tribulations de Socrate, Guyard retrouve l’errance des manouches qu’il a fréquentés quand il était plus jeune comme il le confesse : « Il m’a toujours fallu, à moi, l’appel de la route, le détour et l’errance, la dérive et le campement de fortune … La faute, sans doute, à mon enfance, passée au milieu des rabouins, bohémiens, romanichels et autres manouches. » Et ainsi, il convoque autour de la marmite de son raisonnement tous les affamés de la route, tous ceux qui depuis près d’un millénaire arpentent les routes et les sentes, tous les traîne la misère formant confréries, compagnies, bandes de pillards, armée déguenillée plus souvent inorganisées que structurées, détroussant, rançonnant, saccageant… Tous ces vagabonds désœuvrés abandonnés par la guerre, rejetés par la peste ou le choléra, pourchassés par tous les pouvoirs organisés ont cherchés ce qui leur était nécessaire et ont découvert le savoir essentiel celui qui permet de survivre. Et le philosophe est celui qui part à la rencontre de ces vraies gens, ceux qui luttent en permanence pour survivre, afin de comprendre ce qui conditionne notre vie. Notre vraie vie pleine et totale, celle qui échappe à toutes les contraintes imposées par d’autres.

Cette démarche nécessite disponibilité et exclut donc toute activité professionnelle. « Ainsi, par oisiveté, le vagabond s’applique le plus naturellement du monde à atteindre au détachement que convoitent les plus grands maîtres spirituels » Mais il ne faut surtout pas confondre l’oisiveté avec la fainéantise, elle n’est que disponibilité pour « ne-pas-faire », pour échapper aux contraintes, pour penser à, pour vivre pleinement… Guyard a explicité sa pensée, la vérité est là-bas, au bout de route, ailleurs, il faut aller à sa recherche, prendre le temps de réfléchir, écouter les autres surtout ceux qui rencontrent le plus de difficultés pour vivre seulement… Et surtout faire la fête et ne pas croire tous ceux qui veulent nous faire avaler leurs couleuvres pour nous obliger à renter dans leur rang en produisant et consommant pour qu’ils s’enrichissent encore plus. « Il faudrait que nos lettrés et nos clercs se mettent à la ribauderie et s’acoquinent avec les gueux, les fainéants et les vauriens. Et qu’ils sachent user du pouvoir libérateur du rire ».

Chacun lira ce livre avec son vécu et ses penchants mais nul ne restera indifférent à l’argumentation de Guyard et surtout pas insensible à sa magnifique prose qui charrie comme un torrent en furie charriant des mots lourds comme des rochers, des mots qui assènent ce qui voudrait être des vérités. La vastitude de son champ lexical laisse deviner l’immensité de sa culture qui lui permet de convoquer à sa démonstration Socrate et Antisthène, Dionysos et Bacchus, Villon et quelques bandits de grands chemins, des alchimistes, des hérétiques de tout poil, des penseurs orientaux, ceux qui ont cherché la sagesse sur la route (comme Kerouac peut-être … ?).

En refermant ce livre, j’ai cependant ressenti comme une absence, Cendras n’était pas là peut-être trop occupé à jouer du surin entre manouches et roms, lui qui a tant arpenté les routes des villes et des campagnes et les chemins du savoir.

Le Dilettante

2.5.0.0

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