Ma voisine a hurlé toute la nuit – Anne-Michèle Hamesse
Je suis sûr qu’Anne-Michèle Hamesse ne m’en voudra pas, si je dis que dès les premières lignes de ce recueil, ma mémoire m’a proposé le nom de celles que j’appelais il y a une ou deux décennie « mes chères vieilles anglaises » (vieilles elles ne l’étaient peut-être pas plus que moi) quand j’ai traversé, dans mes lectures, une période britannique. Ainsi, des noms ont ressurgi dans ma tête : Barbara Pym, Mary Wesley, Muriel Spark, Elizabeth Taylor… avec des souvenirs de lecture très agréables. L’air de rien, derrière un texte bien lécher, elles possédaient la férocité ces braves dames, elles savaient insidieusement distiller le venin, elles connaissaient à merveille le petit monde qu’elles mettaient sur le grill qui leur servait de scène. Elles avaient l’œil infaillible et la plume impitoyable, j’ai retrouvé un peu ces caractéristique dans les nouvelles d’Anne-Michèle quand elle dresse le portrait sans concession de dames plus toute jeunes, pas toujours gâtées par la vie, parfois un peu dans leur petit monde, ailleurs… qui ont des problèmes à régler avec leur entourage, leur histoire, le sort qui leur a été réservé.
Ces héroïnes sont surtout des femmes qui ne peuvent plus supporter la vie qu’elles mènent, elles sont arrivées à un point où il faut qu’il se passe quelque chose, qu’elles prennent leur vie en mains pour remettre leur existence dans le bon sens. Mais, même si elles prennent des décisions irrémédiables, brutales, diaboliques, dignes de Barbey d’Aurevilly, leur férocité se brise souvent les dents sur la carapace des aléas. Ainsi, la petite sœur toujours méprisées n’aura pas la vengeance qu’elle serrait dans sa poche, elle a trop attendu. Trop tôt, trop tard, à contre temps, ailleurs, dans un autre monde, …, elles ratent toujours leur objectif. Ainsi va la vie, c’est le hasard qui tient les cartes dans ses mains, les rêves restent souvent dans le monde fantastique où la magie peut tout changer, mais hélas s’éteignent au réveil.
Anne-Michèle Hamesse voudrait-elle nous faire comprendre qu’il est inutile d’essayer de se rebeller contre le sort qui nous est infligé et que nous devrions tout simplement le subir pour mieux le supporter ? Il est sûr qu’à la lecture de ces nouvelles, on comprend vite qu’elle n’a pas une confiance illimitée en l’humanité qui distille la méchanceté à flots généreux. Elle croit plus dans le sort qui sait coincer le grain de sable diabolique qui dérèglera la machine de n’importe quelle histoire, de n’importe quelle existence.
Avec son style limpide, académique, précis, appuyé sur des phrases plutôt courtes même si elles sont suffisamment longues pour être souples et agréables à lire, l’auteure livre dans ce recueil une dizaine de nouvelles qui démontre ses talents de conteuse. Elle sait très bien raconter les pires histoires, créer des personnages diaboliques, sans jamais sombrer dans la vulgarité ou l’approximatif. En toute innocence, elle peut laisser supposer les pires horreurs comme savais si bien le faire mes « vieilles anglaises ». Il y a aussi dans ses textes très souvent une dimension charnelle qui confère une plus grande véracité aux histoires racontées et une plus grande réalité aux personnages mis en scène. J’ajouterai que j’ai détecté quelques zeugmes du plus bel effet, judicieusement placés comme pour donner encore plus de nerf au texte.