11 juillet 2016 ~ 0 Commentaire

Copies – Thierry Radière

Il aimait Françoise et la littérature comme Jennifer aimait Mozart et les Beatles mais le drame qui entachait sa love story, à lui, n’était pas aussi tragique que celui de la jeune femme du film, il consistait simplement en une pile de copies, une véritable falaise entre lui et le monde, qu’il devait corriger dans le cadre du bac de français. Evidemment, comme tout bon professeur de lettres, il nous explique que les élèves d’aujourd’hui n’ont rien compris à cette matière, qu’ils se désintéressent totalement de la langue, de l’écrit et par conséquent de la littérature. Et pourtant le sujet proposé était particulièrement alléchant, il nous  le propose en introduction à cet ouvrage : quatre textes, écrits chacun par un grand maître des lettres : Chateaubriand, de Nerval, Mallarmé, Green, Julien, soumis à la sagacité des candidats.

« Je sens déjà dans les copies que je lis, le silence du vertige, la paraphrase de l’indicible, le contresens d l’incompréhension, le faux-sens de la sous-interprétation, et le non-sens du néant total s’enchaîner les uns aux autres dans la plus naturelle des compositions ».

Le narrateur est rompu à ce genre d’exercice depuis de nombreuses sessions mais cette année tout est nouveau pour lui, il est amoureux et le monde s’est transformé, rien n’est plus comme avant, sauf les copies qui sont toujours aussi insipides, mais il les lit différemment, il a même l’impression de les évaluer autrement.

Ce texte emmène le lecteur dans la vie du narrateur avec une grande empathie, on partage le mélange de sentiments qui l’habite : son amour pour Françoise, son amour pour les lettres, notamment pour les extraits proposés à l’examen, son agacement à l’endroit des candidats, une certaine forme de désabusement envers son métiers et une pointe d’animosité à l’endroit de ses élèves qui ne font aucune effort pour essayer de comprendre les textes proposés pourtant tellement riches.

« Lire c’est apprendre  vivre. Lire c’est approcher d’un peu plus près les zones obscures de l’humanité, les coins inexplorés du vécu… »

J’ai lu ces textes, vite, trop vite, j’y ai vu surtout l’expression du temps qui coule inexorablement comme le sable entre les doigts, ce qui évidemment génère la nostalgie de ce qui fut et ne sera jamais plus. Le narrateur lui nous interroge sur ce qu’est la mémoire : «  La mémoire n’est-elle qu’un miroir déformant d’une partie de nous-mêmes ensevelie par les années ? Son image trouble remontant à la surface du temps cache l’incertitude de l’avenir et l’angoisse du présent qui l’ont fait naître, cette représentation du passé ». Ne passant pas le bac de français, je ne voudrais pas répondre à cette question, je voudrais seulement dire que la mémoire, l’âge avançant, fait remonter à la surface un passé de moins sûr et cache de moins en moins un avenir de plus en plus certains. A vingt ans on n’a pas de passé et le présent c’est déjà l’avenir, à quarante ans le présent c’est déjà le passé et l’avenir se conjugue de plus en plus au présent, et à partir de soixante ans, le présent se dissout dans un passé de plus en plus fou alors que l’avenir devient de plus en plus certain, la fin de matérialisant de plus en plus.

Ce texte pourrait être le roman d’un professeur oubliant son aigreur professionnelle dans un amour un peu tardif, un essai sur le temps qui fuit, sur la mémoire et ce qu’elle représente et aussi un cours de lettre sur la compréhension et l’interprétation des beaux textes. Chacun le lira selon ses inclinaisons, pour ma part, je n’ai surtout pas essayé de dissocier ses différents  aspects parce que la vie c’est ce mélange entre nécessité professionnelle, inclinaison artistique, appréhension philosophique de l’existence et surtout l’amour qui peut transcender tout ce qui précède.

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