Les enfants du Grand Jardin – Carine-Laure Desguin
« D’accord on serait des … », tous les parents de plusieurs enfants ont entendu leurs charmants bambins formuler une hypothèse commençant par cette formule qui laisse une porte largement ouverte à leur imagination débordante. Si vous avez oublié votre imagination infantile vous risquez de vous perdre dans les méandres de la magie de Carine-Laure car, elle aussi, elle a dû, en flânant dans un parc quelconque entendre des petites filles se lancer dans un grand délire que les adultes ne peuvent pas comprendre. Elle a confié au petit Vérone le soin de raconter l’histoire inventée, dans le Grand Jardin, par deux fillettes, Nicole et Marianne, pour vivre le jeu qu’elles ont inventé dans un monde qu’elles seules peuvent comprendre. Peut-être que Carine-Laure a aussi lu le fameux livre de Salman Rushdie, « Les enfants de minuit » et qu’elle a voulu à son tour essayer de percer le mystère de la magie que les enfants sont capables d’inventer pour échapper à la vie si mal construite par les adultes.
Dans le parc du Grand Jardin, Marianne et Nicole « grandes comme deux guirlandes du troisième jour ressuscité, cousues ensemble », inventent un monde de guirlandes d’enfants, « les têtes à trous », qu’elles nomment par des noms de villes, de pays, certainement des noms qu’elles ont saisis à la sortie de la bouche des adultes. « On asperge aux Amériques, on rêve en Europe, on picore au milieu de l’Afrique. Pour l’Asie et l’Océanie, ça dépend des jours. Et puis, je ne comprends pas tout moi-même, alors… » Elles ont voulu les faire vivre à leur façon comme les parents semblent les faire vivre à la leur. C’est comme ça que j’ai lu ce livre car Carine-Laure, s’est laissé emporter dans le monde imaginaire, magique, fantasmagorique inventé par ces deux gamines sans se soucier de ce qu’en tireront les pauvres lecteurs égarés dans ses lignes. Et de toute façon, une fois édité, le lire appartient au lecteur qui en fait la lecture qu’il comprend ou ressent. Cette lecture m’a enchanté, elle m’a ramené dans un temps très lointain où je n’étais pas plus haut que ces gamines, dans un temps où la réalité n’était que celle que nous voulions faire, où celle des adultes nous échappait totalement et nous emblait bien difficile à vivre.
En se glissant dans la peau du petit Vérone pour raconter les histoires des deux fillettes, Carine-Laure a retrouvé toute sa fraîcheur enfantine, elle a redécouvert un langage, même s’il était certainement moins élaboré, dont elle usait peut-être quand elle n’était encore qu’une fillette candide. Un langage truffé de mots inventés, déformés, d’expressions très imagées mais aussi un langage rempli de jeux de mots, de calembours, d’aphorismes, de jeux d’assonance, de termes détournés de leur sens initial, des mots venus, eux, de son présent et non pas de son enfance. Un vrai bonheur de lecture pour ceux qui aiment jouer avec les mots, leur faire dire ce qu’ils n’avaient pas prévu de dire, leur faire raconter une autre histoire. « Moi, Vérone, le p’tit gars qui vous raconte du fantastique dans cette histoire, je suis haut de forme de pot de ne rien sans voiler, de tout vous tanguer. » Vérone il raconte ce qu’il peut avec les mots que Carine-Laure lui prête. « Alors nous, on absorbe ces vérités-là. On ne sait que celles-là, ce sont celles qui coulent toutes humides de rires et de larmes de la bouche des deux fées. » Il ne sait peut-être pas, le petit Vérone, que son texte est formidablement poétique et qu’il est beau. « C’est du beau derrière les yeux, du baume sur le cœur, du rêve jamais entamé avant cette glorieuse journée de rois couronnés. »
Et dans le Grand Jardin, « Avec une voix isocèle de clairière cristalline et équilatérale de victoire. Nicole et Marianne chantent en gesticulant de leurs doigts de fée et secouent la démesure… » pour que le monde des enfants vivent toujours et qu’un jour peut-être il remplace le triste monde des adultes.
Un texte qui bouge, donne du rêve, provoque aussi. Superbe. J’ai beaucoup aimé !