30 mai 2016 ~ 0 Commentaire

Un domaine au Cap-Vert – Henrique Teixeira de Sousa

Ce texte un peu répétitif, souvent redondant, qui peut paraître lent et long, incarne bien le rythme de la vie sur l’île de Fogo dans l’archipel du Cap-Vert où, au moment où se déroule l’histoire de ce domaine, la nonchalance et la résignation étaient souvent les meilleures armes à opposer aux difficultés de toutes sortes que la population devait affronter. Cette l’histoire, c’est la chronique de la décadence et de la déchéance d’une famille blanche qui symbolise l’ensemble de la population de l’île, obligée de transmettre morceau par morceau son patrimoine ancestral pour financer l’installation de ses descendants hors de l’île ou pour que d’autres continuent à y vivre mais beaucoup plus modestement.

Deux ans après l’éruption du volcan le 12 juin 1951, Eusebio enterre sa mère et prépare le partage de l’héritage familial, maisons, plantations de café et autres terres, entre ses sœurs, son frère et lui-même. Après ce partage, il abandonnera son commerce trop concurrencé par ceux des nouveaux commerçants mulâtres, pour se retirer à la campagne sur la propriété qu’il espère obtenir.

Quand les Blancs y ont débarqué, l’archipel du Cap-Vert n’était pas peuplé mais ils ont rapidement amené des esclaves noirs pour cultiver leurs plantations. Des esclaves qu’ils ont traités durement, à l’exemple du fondateur de la famille d’Eusebio qui étaient particulièrement sévères avec les siens. Mais, les relations entre ses deux populations se sont progressivement assouplies et les mulâtres ont peu à peu prospéré même si la différence entre les deux populations est restée assez sensible. Le cousin d’Eusebio ne peut pas supporter l’idée qu’un médecin noir, aussi bon soit-il, puisse courtiser sa fille qui risque de rester sans prétendant. « A partir du moment où l’on a accepté les mélanges dans la société, où les gens des grandes propriétés se sont alliés à ceux qui vivaient dans des cases, tout a commencé à aller de travers ». Teixeira de Sousa a écrit la chronique de cette population blanche amollie par la consanguinité, confinée sur un territoire exigu et éloigné de tout qui voit son pouvoir progressivement passer dans les mains des mulâtres plus dynamiques, plus entreprenants, plus ouverts aux idées et techniques nouvelles et plus aptes à gérer à assurer les changements nécessaires dans cette île restée trop longtemps repliée sur elle-même, figée dans des structures sociales ancestrales dominées par les ancêtres des colons blancs.

Ce texte est aussi une excellente présentation de l’île de Fogo, de sa géographie, de son milieu, de son histoire, de sa vie sociale et de toutes les difficultés que rencontre la population sur ce territoire isolé, abandonné par ses élites et oublié par la métropole. « Ce sont les sécheresses cycliques, la plaie des sauterelles, le vent d’est, la mer qui nous entoure et parfois nous engloutit, l’isolement, l’abandon, …. » Fogo vit au rythme de ces calamités et elle n’est qu’une des îles de l’archipel, elle n’est pas la principale. Dans de telles conditions, les enfants des propriétaires blancs préfèrent quitter l’île pour étudier au Portugal ou travailler sur le continent, en Afrique ou en Amérique principalement. Lui, Eusebio, il ne veut pas déserter, il veut maintenir la tradition des familles patriciennes, propriétaires qui ont un devoir envers l’île et sa population. « Les Blancs formaient une élite qui ne pouvait pas disparaître. Ils ne pouvaient pas renoncer à leur position ni à leurs responsabilités sociales et morales à l’égard des gens humbles ».

« Peu à peu la classe supérieure disparaissait pour laisser place aux mulâtres et à leur ignorance et leur vulgarité. La société de Fogo se transformait peu à peu en un ragoût immangeable ». Et l’auteur a déposé ce texte chez son éditeur, la veille du déclenchement de la Révolution des Œillets, la veille d’un autre changement…

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