30 mai 2016 ~ 0 Commentaire

La tête perdue de Damasceno Monteiro – Antonio Tabucchi

On dirait un roman policier, il y a bien un cadavre, Manolo le gitan découvre un corps sans tête près d’un campement de nomades à la périphérie de Porto ; il y a bien une énigme, des enquêteurs : un jeune journaliste, envoyé spécial d’un journal à sensations, assisté de l’avocat des pauvres et de sa discrète mais efficace logeuse ; des hypothèses et même une solution plausible… mais c’est surtout une profonde réflexion sur la nature humaine à travers sa capacité à discerner la vérité du mensonge et le bien du mal que nous livre Antonio Tabucchi.

Ce roman qu’aurait pu écrire avec la même gourmandise Andrea Camilleri, s’inspire d’un fait divers impliquant la police dans un meurtre louche et un trafic mafieux qui sert de point de départ à l’auteur pour conduire une réflexion acérée sur la justice et ses limites, sur la notion de pouvoir officiel et de pouvoirs parallèles, sur l’interférence entre ces deux types de pouvoir et donc sur l’usage de la justice par le pouvoir. Mais cette réflexion va au-delà de la notion de justice pure car l’homme ne peut rendre que la justice qu’il est capable de percevoir, concevoir et mettre en œuvre.

C’est à une véritable exploration de la nature humaine à travers l’évocation du mensonge et de la vérité, du bien et du mal que nous invite Tabucchi, en conviant Nietzsche, Kafka, Camus, Amery et bien d’autres philosophes et écrivains à ce voyage dans les méandres de l’humanité en passant notamment par le Portugal de Salazar et l’Allemagne de l’horreur nazie. Un voyage qui permet à l’auteur de stigmatiser la torture comme moyen de justice même si elle remonte au pouvoir divin de l’inquisition, tous ceux qui se retranchent derrière le devoir d’obéissance pour ne pas assumer leur responsabilité ou derrière la Grundnorm pour justifier leurs actes. « … L’obéissance à un ordre supérieur n’est pas tolérable, trop de gens se sont cachés derrière cette misérable justification en en faisant un bouclier légal … Ils se cachent derrière la Grundnorm. »

Un texte sobre mais cependant littéraire, intelligent, érudit, cultivé qui convie les grands penseurs, comme Paco Ignacio Taibo II conviait les révolutionnaires, au chevet de la justice en grande souffrance devant la puissance de pouvoirs qui la dépasse : la dictature, la concupiscence, l’argent et bien d’autres travers encore qui condamnent l’humanité à se satisfaire de la justice des hommes. Justice aléatoire et orientée « parce que l’homme est méchant. »

Discours pessimiste qui tendrait à conclure que l’humanité est condamnée à subir le mensonge parce que c’est dans son essence même. Peut-être ? Mais, il reste tout de même une fenêtre ouverte sur un peu plus d’espoir car il y aura toujours des justes qui extirperont quelques âmes en perdition des crocs de l’infamie. Et le monde ne peut pas être totalement noir dans une ville comme Porto où même l’injustice ne peut pas gâter la gastronomie et la douceur de vivre.

Au passage l’auteur nous livre un plaidoyer explicite pour rendre justice, aussi, aux gitans andalous spoliés de leur honneur et de leur terre, confisqués dans des temps où l’intolérance existait déjà.

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