Bleu de travail – Thomas Vinau
« Chronique des manches retroussées du ciel et des matins qui passent. Textes de rien, de faim et de soif. Il y a chaque jour des gris à habiter et des couleurs à faire pousser. Il faut chaque jour plonger ses mains dans le cambouis… » « Le jour met son bleu de travail. Je mets le mien aussi. » Et pourtant, après avoir lu les quelques quatre-vingt textes constituant ce recueil, j’ai l’impression qu’il y a mal donne, que l’auteur cherche à égarer le lecteur, je ne l’imagine absolument pas en bleu de chauffe, je le vois plutôt déguisé en alchimiste se démenant comme un diable derrière sa paillasse, précipitant des mots dans des éprouvettes et des cornues pour en tirer l’essence, le nectar, qu’il distillera ensuite.
Avec le produit de sa distillation solidifié en mots comme des briques de texte, Vinau constitue des morceaux de phrases ou des phrases ultra courtes, qu’il assemble pour écrire des textes courts, souvent très courts, mais très forts, des textes pour dire le nécessaire, l’essentiel, juste ce qu’il faut pour faire vivre les petites choses invisibles mais nécessaire à notre vie, les choses qui pariassent inconséquentes, anodines, vénielles mais qui finalement donnent un sens à notre vie. On dirait que Vinau a lu les maîtres japonais, il écrit un peu comme eux : il pose précieusement ses mots/briques par petits groupes en vérifiant très attentivement leur assemblage et leur sonorité avant de les enfermer entre les deux points qui délimitent la phrase et de les relier à une autre phase pour produire un texte soupesé, ciselé, clair, sonnant bien.
Avec Vinau, l’écriture redevient un art, il écrit tout d’abord pour proposer des beaux textes, des textes travaillés comme des sanguines, des fusains, des esquisses, des épures, des œuvres dépouillées mais expressives,…, des textes sonnant comme un fragment de musique, «un « Stück Musik » de Schubert par exemple ou une petite pièce de Satie. Au-delà de la forme, ces textes ont une signification, ils évoquent le monde froid, austère, sans richesses ni fioritures, le monde des êtres faibles, des petites choses, des pauvres gens, le monde de ceux qui semblent ne pas compter et qui pourtant donnent beaucoup de sens à notre vie.
Des textes à lire comme on mange une friandise, sans se poser de questions, juste en dégustant. « Les arbres se gonflent et se dégonflent. Ils expriment le vide froid. Les branches sont des bronches. Poitrine de lumière. Et le ciel qui ronfle. Et nos peines soufflées. Là. »