23 mai 2016 ~ 0 Commentaire

Entre ciel et terre – Jón Kalman Stefánsson

Un gamin, la vingtaine tout même, et son ami, un peu plus âgé, regagnent le baraquement qui sert d’hébergement aux six membres d’équipage de la barque avec laquelle ils participent à la saison de pêche dans un fjord du nord-ouest de l’Islande. Ces pêcheurs artisanaux perpétuent la pêche traditionnelle de plus en plus concurrencée par les bateaux à moteurs venus, notamment, du continent européen. Les marins prennent la mer après avoir interrogé le ciel, les vagues et le vent, et confient leur sort à Dieu avant d’affronter le flot et ses démons qui ont déjà emporté par le fond le père du gamin et, de la vilaine grippe qui sévit régulièrement, sa mère et sa sœur. « D’un côté, la mer, de l’autre, des montagnes vertigineuses comme le ciel : voilà toute notre histoire. »

Les deux amis sont férus de lecture au grand dam des autres membres de l’équipage qui les considèrent comme des malades. Le plus âgé lit « Le paradis perdu » de Milton et le gamin un récit de voyage. Absorbé par sa lecture, le plus âgé oublie sa vareuse avant d’embarquer et meurt de froid sur la barque. Le gamin n’accepte pas cette mort, il fuit, il ne veut plus retourner en mer, il va vivre avec les terriens, défiant la mort dans une longue odyssée à travers les neiges, un voyage initiatique à la limite de ses forces et de la vie, « Il lui faut découvrir la raison pour laquelle il vit, mais, avant tout, s’il a sa place au sein de cette existence. » Il retrouve la ville et sa population confinée avec pour seuls loisirs l’alcool et le sexe et cette question lancinante : Faut-il vivre cette vie ? Une autre ailleurs ? Celle d’après dès maintenant ?

Un récit lent comme une barque qui tangue sur la houle au rythme saccadé des coups de rames de l’équipage, un récit qui chaloupe sur la vie de ces marins conditionnée par les cycles conjugués des marées et du soleil, un récit qui explore la zone ténue qui sépare la vie de la mort. « Les mouvements des hommes sont rapides mais mesurés, un geste imprudent, inconsidéré, et la barque pourrait rompre l’équilibre qui sépare la vie de la mort ». Un texte où la mort est omniprésente, fatale et finalement acceptée. « Celui qui meurt se transforme immédiatement en passé ». Injuste, cruelle, elle rythme la vie de cette communauté perdue aux confins du monde vivant et induit implicitement le questionnement sur la vie, son sens, son utilité, l’intérêt qu’elle a d’être vécue.

« Les mots sont cependant tout ce que le gamin possède… Les mots sont ses compagnons les plus dévoués et ses amis les plus fidèles, ils se révèlent pourtant inutiles au moment où il en aurait le plus besoin. » Le gamin s’évade dans les mots et pourtant les mots ont tué son ami qui n’a pas pu leur échapper. Mais comment sortir de ce monde confiné, enfermé sur lui-même, sans les mots, sans les histoires, sans les livres ? Comment vivre sans cette gourmandise ?

« Sans le péché, il n’est nulle vie. »

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