La vie d’un homme inconnu – Andreï Makine
Encore un écrivain à la haute renommée, « goncourisé », adulé, dont les livres sont présentés en piles vertigineuses jusque dans les supermarchés, qui me laisse pantois, déçu, insatisfait. Je n’ai pas compris le projet littéraire de Makine dans ce livre, il avait la possibilité, à mon avis qui se veut fort humble, d’écrire deux histoires d’amour parallèles, une histoire du temps de la guerre et des années soviétiques qui viendrait plonger en abyme dans une histoire plus actuelle, située à la fin de l’époque soviétique, au moment où la Russie devenait un autre pays. L’auteur a fait un autre choix, c’est lui qui écrit le livre, mais comme c’est moi qui l’ai lu, je vais dire comment je l’ai reçu.
Un vieil écrivain d’origine russe à « l’audience modeste », pas à la hauteur du talent qu’il pense avoir, souffre parce que la jeune femme qui partageait sa vie, le plaque pour un autre plus jeune. La difficulté de faire éditer son dernier ouvrage et la souffrance de la séparation l’incitent à rejoindre la Russie et son amour de jeunesse mais il ne retrouve qu’une pâle imitation du pays qu’il vient de quitter. « La Russie a copié ces modes occidentales et maintenant s’amuse à les pasticher ». Il se retrouve entre un monde qui n’est plus le sien et un autre qui ne l’a jamais réellement été. Les Russes ont transformé leur pays en celui qu’ils ont fantasmé pendant des décennies. Ils ont construit leur « far west » à eux. Sur le sol des grands auteurs du XIX° siècle, même la littérature est devenue un vulgaire produit de consommation.
Il, le héros, l’auteur peut-être, arrive à Saint Petersbourg au moment du trois centième anniversaire de sa fondation par Pierre le Grand. Il y retrouve son ancienne amie, mariée, richissime et peu empressée de renouer avec lui. Dans son appartement il rencontre un vétéran du siège de Leningrad qui s’est muré dans le silence mais qui rompt celui-ci pour lui raconter sa vie pendant le siège, la libération, les quelques jours d’un doux bonheur et les nouvelles atrocités imposées par les soviétiques : la déportation, le goulag, l’errance, …. L’errance avec le théâtre, le chant, la musique, qui ont toujours été ses compagnons de route : sous les balles allemandes, au goulag, dans les asiles psychiatriques, contre la peur, contre la mort,… jusqu’à ce qu’il élève ces disciplines au niveau d’une science à l’usage des plus défavorisés (handicapés, débiles, rebuts de la guerre, déchets de la dictature).
Un simple prétexte littéraire pour raconter des généralités désormais très banales sur le siège de Leningrad, sur la période soviétique, sur le goulag, … Aujourd’hui on connait tout ça parfaitement, Soljenitsyne, Axionov, Chalamov et bien d’autres sont passés par là depuis longtemps. On a l’impression que Makine a fait un remplissage débordant d’émotivité puérile qui ne peut plus que faire vibrer le pathos de lecteurs hyperémotifs.
J’attendais une mise en abyme de l’histoire du couple de vétérans dans celle de Choutov, le héros, et de sa petite amie. Hélas l’auteur a fait un autre choix…. Le vétéran a retrouvé son amie après la guerre comme le héros a retrouvé la sienne après l’exode mais la vie n’a pas réussi à réunir durablement ces deux couples. Le bonheur n’est pas de ce monde. Le vent de l’histoire, l’hystérie humaine, l’exagération slave ont soufflé sur ce texte, le pire est toujours le moins grave, rien n’est épargné au lecteur, tout se devine trop facilement tellement on connait ces histoires dans toute leur atrocité et leur abomination, hélas tellement banalisées aujourd’hui. Et la morale reste toujours la même : la vie n’épargne jamais le faible, le pauvre, le démuni, le juste qui est toujours tabassé par le fort, le riche, le dictateur.
Un livre très sombre, désespéré, une lecture décevante, mais une lueur tout de même : personne jamais ne pourra faire taire le chant du plus humble des hommes qui pourra toujours l’opposer à l’oppression, à la peur, au malheur, à la mort.