15 avril 2016 ~ 0 Commentaire

La pitié dangereuse – Stefan Zweig

Dans une ville de garnison, aux confins de l’Autriche et de la Hongrie, un jeune officier désargenté est invité chez un grand bourgeois local, croyant montrer son savoir vivre, il invite la fille de la maison à danser sans savoir qu’elle est infirme des jambes. Mortifié par sa gaffe et sa fuite précipitée du bal, il envoie des fleurs à la jeune paralysée qui lui pardonne cette invitation malencontreuse. Il devient rapidement un habitué de la maison où il apporte un rayon de soleil, la jeune fille l’apprécie beaucoup et le père manifeste de plus en plus d’intérêt à son égard sans qu’il se rende compte que la pitié qu’il éprouve pour la jeune fille et son vieux père l’aspire progressivement dans un piège qui se referme inexorablement sur lui. Croyant bien faire, il laisse abusivement la jeune fille et son père penser qu’elle guérira bientôt mais la frêle enfant ne se contente pas d’une promesse de guérison, elle exige aussi ce qu’il ne veut pas lui donner même s’il fait mine de lui céder.

Ce texte est évidemment une histoire d’amour d’un romantisme exacerbé,digne des amants de Mayerling, d’une tragédie grecque, un regard sur le handicap et le droit à l’amour pour ceux qui sont différents, mais c’est surtout une réflexion profonde sur la pitié et l’art de la prodiguer et plus généralement sur la vérité et l’usage qu’on peut en faire. Que peut-on dire ? A qui ? Quand ? Comment ? Toutes ces questions restent en suspens.

Ce roman est le seul achevé par Stefan Zweig, j’avoue que je préfère ses textes courts malgré la grande qualité de celui-ci, il domine brillamment son sujet même s’il a tendance à chahuter le lecteur en le bousculant trop souvent entre espoir et désespoir absolu. La situation est éclaircie mais non elle s’assombrit, le processus est trop récurrent et tend à alourdir le récit. Mais quand on lit du Zweig on ne se lasse pas, on regrette seulement, si comme moi on n’est pas germaniste, de ne pas pouvoir le lire en version originale surtout quand le traducteur utilise des formules qui semblent un peu hasardeuses. Tout dans cette histoire concourt à l’objet du livre qui est une vaste démonstration à facettes multiples, aucun événement ne figure par hasard dans le texte, chacun étaie, explicite, la vison, la théorie, les impressions,… de l’auteur.

Ce texte a une autre dimension, plus large, il a été écrit juste avant la guerre de 1939/1945 – publié en 1939 – et son intrigue se situe juste avant l’autre guerre, celle de 1914/1918, et, bien évidemment, ce n’est nullement un hasard. Stefan Zweig adresse à travers cette histoire d’amour un message prémonitoire annonçant les événements apocalyptiques qui pourraient, selon lui, survenir. La jeune paralytique est à l’image de l’empire autrichien de 1914 englué dans son passé et ses traditions, dirigé par un vieil empereur cacochyme et l’auteur nous laisse penser que l’Autriche de 1939 n’est pas plus apte à faire face à la montée des dangers qui pointent à l’horizon de l’histoire. Le contexte historique de l’écriture du roman, comme le contexte de l’intrigue, l’époque où la psychologie progressait à pas de géants à Vienne, pèse lourdement sur le roman. Les personnages qui gravitent autour de la jeune fille sont presque tous des faibles qui ont cédé à des compromissions de diverses natures pour préserver leur confort, leur avenir, leur image, leur situation… On pourrait voir dans cette histoire d’amour non seulement un message prémonitoire mais aussi une dénonciation de la faiblesse des dirigeants, et de la société en général, qui ont laissé les barbares s’emparer du pouvoir. Les relents antisémites qui empestent le récit, étaient déjà fort nauséabonds en 1914 et l’étaient peut-être encore plus en 1939, Stefan Zweig ne pouvait plus respirer cette odeur, il avait déjà fui ailleurs et songeait peut-être à quitter définitivement ce monde de barbares.

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