07 février 2016 ~ 0 Commentaire

Les forges de Syam – Pierre Bergounioux

Facile pour moi de mettre mes pas dans les mots de Pierre Bergounioux, le petit village abritant ces forges n’est qu’à quelques dizaines de kilomètres de mon domicile et je connais bien cette région qu’il décrit avec une grande minutie et beaucoup de sensibilité. Il m’a été aisé de le suivre sur les petites routes jurassiennes, à l’écart des grands axes de circulation, pour dénicher ce petit vallon où se blottit cette usine palladienne, un peu délabrées, mal entretenue, qui cache bien sa vocation. Seule l’enseigne, à l’entrée, permet de comprendre qu’il s’agit d’une forge et non d’une ferme patricienne, d’une abbaye abandonnée ou d’une folie quelconque d’un nobliau local.

Pierre Bergounioux raconte l’histoire de cette forge en se référant régulièrement à Karl Marx et à son modèle : le passage du patron fondateur qui travaille dans les ateliers, au patron qui vit à la ville en se contentant d’encaisser les produits de l’entreprise. Il resitue cette histoire dans le contexte de l’évolution de l’industrie métallurgique en Europe et dans le monde, des innovations techniques et technologiques, de la constitution des conglomérats géants, de l’effondrement des prix…, le choc industriel, économique, culturel que ces petites entreprises campagnardes, à taille humaine, ont dû subir face à ces géants urbains déshumanisés.

C’est un monde agro-industriel qui se mourait doucement depuis plus d’un siècle, d’une agonie lente mais inéluctable, même s’il respirait encore faiblement quand l’auteur a écrit son texte. Il nous raconte avec une très grande précision comment, dans cette usine musée, on fabrique encore des lingots d’acier pour des usages très spéciaux et nous laisse avec quelques interrogations sur les raisons qui permettent à cette usine de subsister à l’aube du XXI° siècle.

Un texte à la Bergounioux bien sûr, une écriture riche, ciselée, qui décrit avec précision et justesse, les lieux, le travail, l’histoire, le développement et la longue récession de l’activité, l’abandon progressif des ouvriers qui émigrent vers la ville, un processus qui peut servir d’exemple mais dans un cocon tout à fait particulier.

Dans mon emploi, j’ai bien connu cette entreprise, je suivais régulièrement ses difficultés, ses soubresauts, ses redémarrages, ses déboires récurrents et sa fin inéluctable que Bergounioux ne connaissait pas quand il a écrit ce petit livre en forme de témoignage pour qu’on n’oublie pas que cette aventure avait aussi une dimension humaine.

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