La case de l’oncle Tom – Harriet Beecher-Stowe
Pour réparer un oubli de jeunesse, je me suis lancé dans « La case de l’oncle Tom » ! Une certaine amie m’avait averti : « tu verras c’est un peu niais ! » C’est vrai cette littérature est pathétique comme un livret d’opéra italien dont elle a la finesse et la subtilité. C’est « bouldume » comme on disait dans ma jeunesse ! Mais une lecture plus attentive permet de constater qu’Harriet Beecher-Stowe soulève aussi des problèmes plus profonds qui seront prétextes à de nombreux débats ultérieurs.
Ainsi, elle évoque le problème de l’âme des Noirs qui nous ramène à la célèbre « Dispute de Valladolid » et pose la question de leur éducation civile et religieuse qui est la clé de leur émancipation et de leur intégration. Ce thème nous renvoie évidemment à toutes les lectures sur la décolonisation. En corollaire à cette dispute, elle nous adresse aussi un message sur la culpabilité des Blancs et sur la justification qu’ils donnent à leur attitude. « Tant que vos illustres parents en achèteront,…, je pourrai bien en vendre ! » Qui créé le marché ? Celui qui achète ou celui qui vend ? Mais les Blancs ne sont pas tous coupables, il y a, comme chez Marek Halter, des « justes ». Ce problème traité avec un réel manichéisme met déjà en évidence les oppositions très tranchées qui portent les ferments de la Guerre de Sécession.
Ce roman soulève aussi la question du rapport de l’esclave au maître et du maître à l’esclave qui se manifestent sous différentes formes. L’attachement au maître qui peut aller jusqu’à la dévotion quand celui-ci est bon. Mais quand il est mauvais, qu’il ne sait pas user de la carotte et qu’il utilise le bâton sans considération, la soumission, l’acceptation de la douleur, la fatalité peuvent conduire la brutalité à l’impuissance et même remettre en cause les fondements même des principes du « dressage ». Et, l’auteure n’hésite pas à mener son héros sur le sentier de la sainteté pour sauver tous les Noirs mais surtout les Blancs qui ont péché en infligeant le martyr.
L’ouvrage montre aussi que comme les empereurs romains et les sultans ottomans, les Blancs ont bien su utiliser les esclaves pour leurs qualités dans la gestion des plantations mais n’ont jamais accepté de reconnaître leur talent pour ne pas les considérer comme des égaux. Même une certaine forme de reconnaissance a souvent été plus le fait d’un paternalisme condescendant tout aussi dégradant que certains traitements plus virils.
Harriet Beecher-Stowe a ouvert des portes pour ceux qui voulaient en finir avec ce problème déshonorant et pour ceux qui voulaient témoigner à travers la littérature comme Ernest J Gaines, Edwidge Danticat, Caryl Philip et d’autres ou se lamenter sur la misère des Noirs dans les vieux blues. Et on croirait, en lisant ce livre, entendre Ray Charles chanter « Old man River » à la mémoire du vieux Tom décédé sur les bords de la Red River Valley.