05 février 2016 ~ 0 Commentaire

Du côté de Canaan – Sebastian Barry

« J’ai quatre-vingt-neuf ans et je vais mettre fin à mes jours très bientôt. Comment puis-je vivre sans Bill ? » Bill, son petit-fils revenu très marqué de la guerre dans les sables, s’est pendu dans les toilettes de son ancien lycée. Lilly Bere, Irlandaise émigrée aux Etats-Unis, veut cependant expliquer son geste, raconter sa vie, sa mère décédée en la mettant au monde, son père chef dans la police de Dublin qu’elle prenait pour un héros mais qui avait été le bras armé d’une répression violente contre des manifestants. « Et penser, de me souvenir. D’essayer. Toutes ces sombres affaires, ces histoires englouties, comme de vieilles chaussettes dans une vieille taie d’oreiller. Sans plus trop savoir quels poids de vérité elles contiennent ».

Lilly raconte son épopée, sa damnation, sa destinée, le sort d’une jeune irlandaise qui traversa quatre guerres en y laissant à chaque fois un morceau de sa vie, un bout d’elle-même, la plupart de ses illusions et une bonne partie de sa foi. La Grande Guerre, celle de 14, a enterré le frère chéri dans la glaise de Picardie, l’horrible guerre fratricide des années vingt l’a chassée brutalement d’Irlande avec son fiancé qui était dans le mauvais camp, plus par opportunité que par vocation, celui des « Tans », les fameux supplétifs de la police, celle du Vietnam qui lui a rendu un fils abîmé incapable de retrouver sa place dans la société et enfin celle des sables qui a anéanti son petit-fils revenu de la guerre seulement pour vivre un peu plus longtemps, peu.

Sebastian Barry s’immisce habilement, et avec bonheur, dans la peau de cette très vieille femme qui a passé son temps à perdre ceux qu’elle aimait et qui ne veut plus rien perdre si ce n’est le bout de vie dont elle dispose encore. Il raconte sous sa plume la fatalité qui a frappé de nombreux Irlandais condamnés à quitter leur pays pour fuir l’Anglais ou les frères de sang qui ne partageaient pas leurs opinions. Une migration héroïque enfantant tout un pan d’une nouvelle nation forte et dynamique, une épopée mythologique et souvent cruelle désormais inscrite dans les gènes de tout un peuple, Cette destinée envoûtante, morbide, fatale, manque cependant un peu du souffle épique que de nombreux auteurs irlandais ont fait mugir dans la littérature depuis très longtemps. Dans ce texte, on ressent plutôt la résilience flétrie de cette vieille femme usée par trop de malheurs, le mélodrame qui aurait pu nourrir le livret d’un opéra mis en musique par Puccini ou Verdi. Mais, « Seuls les incroyants peuvent être vraiment croyants, seuls les perdants peuvent vraiment gagner ».

Il ne faut pas non plus occulter le choc frontal que l’auteur provoque entre la fatalité morbide qui a frappé les Irlandais et la certitude insolente de la nation américaine en pleine explosion. Une fiction qui se voudrait le témoignage d’une vieille femme venue aux Etats-Unis pour fuir les démons de son peuple qui finissent par la rattraper mais pas avant qu’elle ait pu inscrire ses pas dans le chemin de « l’american way of life ».

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