Un Juif pour l’exemple – Jacques Chessex
En 1939, à Payerne, dans la plaine de la Broye, sur la rive orientale du lac de Neuchâtel, la crise sévit durement provoquant de nombreuses faillites, le chômage, la misère, les combines douteuses et une certaine délinquance couverte par des mouvements extrémistes. Et, comme partout à cette époque, les juifs sont dénoncés comme responsables de tous les malheurs qui affectent cette société rurale qui vit principalement de l’élevage bovin et porcin. Le porc figure d’ailleurs sur les armoiries de la ville.
Les juifs sont accusés de s’enrichir dans le commerce notamment celui des animaux d’élevage et de boucherie, de la confection, … et d’affamer le reste de la population. Le racisme latent se développe, les rancœurs s’attisent, la haine se répand progressivement et les ligues en profitent pour étendre leur influence et racoler les plus faibles d’esprit qui sont souvent les plus forts en gueule. Isch, le fils cadet du garagiste, un bon à rien, se découvre une ambition de leader dans les mouvements extrémistes et le pasteur révoqué, trouve en ce fier à bras, l’homme idéal pour semer la terreur et mettre la pression sur la communauté juive. Isch qui se prend déjà pour le Gauleiter de la future province nazie, constitue un petit gang avec lequel il va commettre quelques exactions qui connaîtront leur paroxysme avec la fameuse agression du 16 avril 1942 contre un marchand de bestiaux juifs.
Cette histoire peut paraitre très banale, on la rencontre dans toutes les littératures d’Europe centrale mais, là, elle est se déroule à notre porte, au sein d’une communauté qui ressemble très fort à ce qu’était la nôtre à cette époque. L’auteur a fréquenté l’école de cette petite ville en compagnie des enfants des protagonistes de cette histoire qu’ils soient juge, policier, assassin, amis ou parents de la victime. Cet événement terrifiant s’est déroulé à notre porte et il n’est pas interdit de penser qu’il pourrait se reproduire si les conditions nécessaires étaient à nouveaux réunies. Chessex a rencontré le pasteur fasciste qui manipulait tous les nasillons du coin après sa sortie de prison, dans les années soixante ; les acteurs, ou leurs successeurs sont toujours là, le ferment couve sous le manteau de la crise, il ne manque pas grand-chose pour recommencer la chasse aux juifs.
L’épouse du marchand pris pour exemple avait, elle, peut-être compris quand elle a fait inscrire cette épitaphe sur la tombe de son mari : « Gott weiss warum », que, nous, nous ne comprendrons peut-être jamais le pourquoi profond de ces exactions mais que Dieu seul pourra, lui, comprendre et juger.