14 janvier 2016 ~ 0 Commentaire

La pluie ébahie – Mia Couto

Ce magnifique texte de Mia Couto ne correspond à rien de connu et de codifié, c’est évidemment un peu un roman avec une histoire, des personnages et une chute mais c’est aussi un conte, une fable, une parabole de l’Afrique d’aujourd’hui, c’est également une forme de manifeste contre le peu de respect des colons envers le pays et ses habitants et, pour moi, c’est de la poésie en prose, un travail sur l’écrit, sur les mots, sur le langage. Une merveille de texte rempli de mots inventés, tous plus goûteux les uns que les autres à déguster sans modération : chantepleurant, pluviotis, s’irrupta, poissonnement du temps, pêchitude, …  Il faut impérativement saluer le travail que la traductrice a dû fournir pour rendre la version française aussi alléchante.

« A la courbe du fleuve » pour parodier VS Naipaul, dans un petit village indigène du Mozambique, il ne pleut plus depuis longtemps, l’eau ne tombe plus, elle reste en suspension entre ciel et terre, les gouttes ne sont pas assez lourdes pour se répandre sur le sol et l’abreuver comme il le faudrait. Malgré l’humidité ambiante tout sèche, le fleuve ne coule plus, le grand-père s’assèche lui aussi. « Grand-père était en train de sécher. En lui j’assistai à la vie et à sa destinée : nous naissons eau, nous mourrons terre ». Chacun des membres de la famille réagit à sa façon et cherche une solution pour mettre un terme à cette sécheresse nébuleuse. L’enfant regarde, écoute, participe à sa façon au désarroi des adultes, il écoute le grand-père figé sur son siège qui raconte l’histoire familiale, la tradition, les secrets de famille, les forces occultes, le mauvais sort…, la tante qui se répand en prières et autres bondieuseries enseignées par les blancs, le père qui croit encore aux dieux de ses ancêtres, et la mère qui, elle seule, a compris que cette situation ne doit rien à un quelconque être supérieur, qu’il ne s’agit en fait que de la pollution provoquée par l’usine construite à proximité par les blancs..

Avec ce texte court, magnifique, Mia Couto démontre, une fois de plus, qu’on peut évoquer énormément de choses sans profusion de mots qu’il suffit de bien les choisir et éventuellement d’inventer ceux qui manquent en déformant ceux qui existent. Ainsi, avec la voix et les mots du poète, il dénonce l’agression des marchands contre l’Afrique, les atteintes à la nature, à l’environnement en général, les reliquats de racisme, le sort réservé aux femmes, l’obscurantisme religieux, la misère de l’Afrique, notamment de l’Afrique du sud-est. Cette Afrique que tous veulent quitter, ce n’es t pas un hasard s‘ils ont appelé leur village « Senaller ».

Mia Couto a incontestablement la stature d’un nobélisé, espérons que l’Académie suédoise aura le bon goût de lui en offrir le costume.

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