04 octobre 2015 ~ 0 Commentaire

Vie des hauts plateaux – Philippe Annocque

Une lecture d’Annocque c’est toujours une aventure, cette fois encore je me demandais bien ce à quoi je devais m’attendre en ouvrant cet opus et je ne fus point déçu, ce livre livre encore une autre facette du talent de cet auteur protéiforme. Philippe n’aime pas les catégories, les classements, les écoles – même s’il y travaille -  il s’évertue dans chacune de ses publication à exposer une autre version de ses aptitudes littéraires. En la circonstance, il propose au lecteur des textes courts qui ressemblent à une ébauche de roman, à une histoire en morceau qui n’aurait pas encore été assemblée en un scénario définitif. Mais ces textes sont reliés entre eux par un fil rouge enroulé autour de thèmes toujours présents même s’ils ne sont pas exposés de façon péremptoire.

« Vie des hauts plateaux » est surtout une affaire de mort, de mort rapide, expéditive, comme dans les jeux vidéos mais, toujours comme dans les jeux vidéos, la mort n’est pas obligatoirement définitive, il peut y avoir des rattrapages. Une affaire d’amour aussi, celui que l’on fait, moins de celui qu’on éprouve. Aucun sentiment dans ces textes froids comme la glace, rien que des faits, la mort, l’amour, la vie qui s’en va et sans cesse revient. Annocque n’aime pas beaucoup les histoires, elles se ressemblent toutes. « Qui que je sois, mon histoire commencera toujours de la même manière : il me faudra d’abord faire ceci, puis cela, puis autre chose et autre chose encore ; mais toujours les mêmes choses, invariablement les mêmes,  et toujours dans le même ordre ». Il préfère bouger les lignes, bousculer les mots, fausser les perspectives, laisser le lecteur trouver le chemin qu’il esquisse à peine.

Ce livre est totalement décalé, il dit tout ce qu’on ne lit pas, le cynisme omniprésent cache mal les sentiments du narrateur ou des narrateurs, on sait mal si l’auteur change de sexe ou s’il y a plusieurs narrateurs de sexe différent mais peut importe l’auteur ne s’arrête pas à ce genre de détail. « Je sais bien que ces considérations n’entrent pas en ligne de compte : ni l’âge ni le physique  ni même la différence de sexe ne sont véritablement en jeu dans les relations amoureuses ». Comme à chaque lecture nait un nouveau livre, je voudrais faire part des impressions très personnelles qui ont contribué à la construction de ma version de ce texte. En plein débat sur le mariage pour tous, la redéfinition de la famille, la théorie du genre, j’ai eu le sentiment qu’Annocque ouvrait des pistes de réflexion. Ses héros se marient avec toutes et tous, peu importe le sexe, le statut, la couleur,…, les familles s’emmêlent allègrement, chacun ayant des enfants avec d’autres qui eux aussi ont des enfants avec d’autres encore etc…, le sexe de ses personnages n’est pas très défini, il est souvent provisoire, de circonstance…  Une façon de ne rien dire sur le sujet (« C’est plutôt difficile à expliquer – comme toujours : la vérité, c’est toujours difficile à expliquer ») mais d’inviter le lecteur à réfléchir à ces questions en méditant ce qui transparait entre les lignes de ce texte. Le transit et le stationnement intensifs entre sa porte et son lit pourrait-être aussi une parabole de l’afflux et de l’accueil des migrants qui déferlent actuellement vers nos cités. Toutes ces interprétations possibles montrent la richesse de ce texte dans lequel  je verrais avant tout une forme de variation sur le thème de la différence abrogée à travers l’accession à l’unicité sexuelle sans que cela apparaisse pour autant pour une théorie émise par l’auteur mais seulement une farce pour dédramatiser un débat qui prenait une mauvaise tournure. Annocque ne fait pas la morale, il ironise, il joue, il nargue, il nous dit ce qui pourrait être, à chacun de se débrouiller avec ces quelques mots.

J’ai eu aussi l’impression que ce livre venait au moment où son auteur sentait qu’il avait atteint le sommet de la phase ascendante de sa vie et qu’il sentait venir les premiers symptômes de la seconde partie de son existence, celle qui descend, « …l’âge m’est tombé dessus et dès le lendemain sur le dos de ma femme ».

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