La danse des nains – Anne Marie Løn
Au printemps 1922, Tyge, un nain doué pour la musique, se prépare, avec le reste de sa phratrie, à fêter les cinquante ans de mariage de ses parents, et, à cette occasion, il raconte sa vie dans une famille d’aristocrates ruraux désargentés du Jutland et son emploi d’organiste dans la chapelle d’un cimetière de Copenhague. Dans ce récit constitué de scènes de famille, de portraits, de réflexions, il compose un tableau d’une dynastie danoise qui depuis quatre générations, se consacre à la gestion d’un domaine aussi vaste que ruineux, à la recherche agronomique et à la spiritualité dans un cadre familial immuable qui ne se mélange pas facilement avec les autres classes sociales n’ayant pas une culture suffisante pour séduire les sept filles restées toutes célibataires comme le fils homosexuel et comme le nain qui cependant a découvert un amour qui pourrait évoluer vers autre chose, dans le miroir qui trône sur son orgue.
Le nain du roman raconte sa vie, tirée de celle d’un nain bien réel, les difficultés qu’il a rencontrées mais surtout l’intolérance, les injures, les vexations, les refus, sa virtuosité musicale qu’il n’a pas pu exploiter, etc… mais malgré tout, avec l’aide de ses parents, et surtout celle de sa nourrice, qui l’ont incité à se forger une carapace et à se débrouiller seul, il assume son état, domine son handicap et reste insensible à toute ce que les autres pensent et disent. « Je ne souhaite pas être à nul autre pareil, je souhaite être un parmi les autres et la sensation de l’être m’est douce. »
C’est bien sûr un livre sur la différence et le regard que nous portons sur ceux qui en sont affligés, sur la tolérance et sur la capacité à surmonter cette différence. Un message bien connu maintenant et très largement véhiculé sous de multiples formes. Mais, c’est aussi une inquiétude qui était bien réelle en 1922, « l’opinion qui prévaut parmi les gens éclairés est qu’un nombre croissant de la population va devenir faible d’esprit ou criminel et qu’il est nécessaire d’intervenir pour tenter de réduire le nombre des inaptes, » qui est devenu très concrète dans les années trente et quarante et qui pourrait bien redevenir un peu plus d’actualité quand on considère la montée des mouvements extrémistes dans divers pays européens notamment. « Nain, ce n’était pas une injure, quand j’avais six ans, c’était juste une limite. »
Ce Petrucciani du Danemark nous pose aussi quelques vraies questions : « Qu’est-ce qui pousse les gens à faire ce qu’ils font, qu’est-ce qui détermine le parcours de leur vie, à quel moment vous vient l’idée ? A l’instant où l’on comprend le sens d’un concept ? A l’instant où l’on entend un mot, un unique mot ? » Et, l’auteur semble, à travers son intrigue, nous faire comprendre que la destinée n’est pas tout et que la volonté peut elle aussi influer sur le cours de nos vies comme le nain a su mener son jeu avec de bien maigres atouts dans sa manche. « Jamais de ma vie je n’ai souhaité être quelqu’un d’autre, quelque chose d’autre. »
Anne Marie Lon jette un regard acéré et scrutateur sur cette société à peine sortie de la féodalité pour peindre un tableau et des personnages très crédibles et analyser jusque dans les plus infimes détails les comportements, relations, et impressions de chacun des protagonistes, notamment ceux du nain narrateur. Mais mon dieu que c’est long, que c’est lent, il n’y a aucune surprise, aucun aléa pour faire rebondir le récit tout au long des presque cinq cent pages qu’il comporte. Tout ce déroule comme aucun lecteur n’oserait l’imaginer tant l’action est linéaire et prévisible. La seule surprise est finalement qu’il n’y en a pas, sauf peut-être cette apparition fugace de Karen Blixen. Et la musique omniprésente est le plus bel emballage que l’auteur nous a offert pour cette histoire, pour une fois, bien optimiste dans la littérature nordique.