09 septembre 2015 ~ 0 Commentaire

Le corps rebelle d’Abigail Tansi – Chris Abani

Abigail est morte mais Abigail est trop petite, elle ne sait pas qu’Abigail est morte en couches en la mettant au monde, elle, Abigail que son père a voulu appeler ainsi pour rappeler son épouse décédée. Et, maintenant elle tient la main de ce grand noir qui est peut-être son papa, elle ne sait pas très bien, mais elle sait bien que ce sont des larmes qui mouillent le visage de cette grande perche noire.

Mais cette Abigail-ci ne pouvait pas égaler cette Abigail-là, elle voulait être reconnue pour l’Abigail qu’elle était et non l’Abigail qui était morte et qui ne vivait plus que dans le regard de son père. Et, pour que son père la regarde comme l’Abigail qu’elle était, elle cherchait à se donner une identité propre en inscrivant l’autre Abigail sur son corps peut-être comme ses ancêtres stigmatisaient leur visage pour se placer sous la protection tutélaire de leurs anciens et indiquer leur propre identité ?

Et, quand elle oscille aux limites de la folie, le père décide de l’envoyer à Londres, chez son cousin, pour parfaire son instruction et peut-être trouver un équilibre. Mais, tout s’enchaîne alors, la défaillance du père face à ce nouveau deuil, la trahison du cousin, la vengeance, l’amour, la violence, la fuite éperdue devant son destin.

Mais s’agit-il bien du destin ? L’auteur n’y croit pas vraiment, « La destinée n’est pas un jeu de cartes distribué contre vous. Ce sont les spécificités du joueur – mais ni le jeu lui-même ni le donneur – qui fournissent la clé. La personnalité est toujours déterminante sur l’issue de la partie. » Abigail n’a pas rencontré les bons joueurs !

Un petit roman plein de sensualité et de poésie, comme de la poésie chinoise ancienne qu’Abigail aime tant, construit comme une tragédie, le combat d’une jeune fille noire écartelée entre deux êtres celui qu’on voudrait qu’elle soit, qu’elle voudrait peut-être être elle aussi , et la jeune fille qu’elle est, trop belle pour les brutes qui l’entourent et trop semblable à celle qu’on voudrait qu’elle soit. Un drame qui tourne vite à la tragédie où l’auteur traite le problème de l’identité, de la personnalité, de l’écartèlement entre deux cultures, de la femme dans le monde africain, de la communication entre les générations et de la condescendance de l’accueil des blancs.

Un roman dont l’extrême densité ne nuit jamais à la fluidité où l’ « Alors » qui fut alterne avec le « Maintenant » qui est, et où le langage du corps prend parfois le pas sur le langage des mots qui ne peuvent plus être dits. Alors, le corps exprime, la douleur, les sentiments, la volonté d’exister dans un dur combat dont les pratiques sadomasochistes sont les armes et la mort la sanction inéluctable en cas d’échec.

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