Les racines déchirées : Histoires – Petina Gappah
Si l’Egypte a connu ses sept plaies calamiteuses, le Zimbabwe en connait actuellement au moins treize comme le nombre d’histoires que renferme ce recueil qui n’ose pas dire qu’il contient des nouvelles mais plutôt des débris de l’histoire de ce pays qui a complètement explosé sous l’impact d’une crise économique monumentale et d’une maladie qui n’ose pas dire son nom, « la grande maladie au petit nom ».
Dans ce recueil Petina Gappah fait une sorte d’inventaire des calamités qui accablent ce pays depuis qu’il a troqué le nom de Rhodésie contre celui de Zimbabwe, depuis que les idéalistes qui conduisaient la révolution ont oublié toutes leurs belles théories pour instaurer un pouvoir dictatorial absolu et cessé de considérer les femmes comme des égales pour les utiliser seulement pour leurs besoins sexuels et ménagers. « Mon mari trouvait que c’était du gaspillage de pénis d’être fidèle à une seule femme. »
Le catalogue des misères zimbabwéennes commencent avec une décolonisation ratée qui donne le pouvoir à ces révolutionnaires qui ont perdu leur idéal mais qui ont découvert une nouvelle vénalité dans les avantages que l’argent facile leur procure. Les colons sont partis, les fermiers ont été chassés, pour la plupart, mais les nouveaux paysans n’ont ni outils ni semence pour faire prospérer leurs exploitations.
La corruption, la concussion, le trafic d’influence, le népotisme et le favoritisme et d’autres malversations encore sont devenus le mode habituel de fonctionnement du pays, L’économie est parti à vau l’eau, l’inflation galope comme elle n’a jamais galopé ailleurs, atteignant des gouffres abyssaux et laissant le pays exsangue, incapable de nourrir, loger et soigner ses habitants. La seule solution réside dans l’exil pour trouver une misère moins pénible sous d’autres cieux moins cléments et parfois même revenir avec le rouge de l’échec au front. Le pays se vend par morceaux aux plus offrants, notamment aux Chinois qui sont très présents et très attentifs devant cette déconfiture.
Mais le grand fléau est avant tout la fameuse maladie qui ne peut pas être évoquée. « Il n’existe qu’une maladie qui pousse à la fois ceux qui ont de belles voitures et ceux qui n’ont pas de voitures du tout à s’adresser au prophète. C’est la grande maladie au nom bref, la maladie dont personne ne meurt, la maladie dont le vrai nom n’est jamais prononcé, la maladie qui manifeste sa présence par la rougeur rosée des lèvres, l’aspect luisant des cheveux, le blanc des yeux plus blanc que la nature l’a voulu. »
Petina Gappah, dans une langue vive, acérée, parfois truculente, non sans ironie et dérision, pointe de la plume ceux qui ont conduit le pays à la faillite et ses habitants dans la tombe, sans trembler, ni faillir. Son doigt se fait encore plus accusateur que celui de Nozipo Maraire qui dénonçait déjà cette situation dramatique mais, hélas, elles vivent toutes les deux à l’étranger comme la quasi totalité des élites zimbabwéennes qui ne peuvent plus vivre dans leur pays pour essayer de le sauver.