La noce d’Anna – Nathacha Appanah
« Aujourd’hui, 21 avril, je marie ma fille. » « Je l’aime tant, ma fille, je ne voudrais pas qu’elle s’en aille, … ». J’ai peur, j’ai peur, elle est si jeune, vingt-deux ans, elle n’a pas connu la vie, elle n’a pas connu d’autres amours, d’autres corps, d’autres sentiments. Elle n’a pas souffert, elle n’a pas assez ri, elle ne s’est pas abandonnée à la vie. Elle va se lier pour toujours avec l’amour de sa vie, ce petit huissier trop poli, trop honnête, trop sérieux, trop adulte, elle va mettre son corps en cage. J’ai peur qu’elle ne soit pas heureuse et qu’elle refasse les erreurs que j’ai faites à vingt ans avec mon premier amour qui m’a donné cette fille et qui l’ignore encore. Je ne l’ai certainement pas assez aimée, je l’ai laissée seule pour m’évader dans les histoires que je bâtissais pour construire mes romans. Elle va me laisser seule à son tour, elle va m’oublier comme j’ai oublié les miens là-bas sur cette belle île en fleur. Déjà, elle a réglé tous les détails de la cérémonie, je suis devenue encombrante, elle a peur que je gâche sa fête. C’est elle qui est désormais l’adulte qui décide et moi qui dois obéir, écouter et subir, je suis déjà la vieille qu’on surveille pour ne pas qu’elle fasse des sottises et pourtant je peux encore séduire bien que je n’aie guère gâté mon corps qui dut lui aussi subir mes évasions littéraires. Mais, dans toute cette foule qu’elle a réunie, je ne connais presque personne, je suis redevenue l’étrangère et l’angoisse de ma solitude future me harcèle à nouveau car le temps vite a passé, où est la petite fille innocente qui me donnait toute sa confiance ? Et pourtant elle m’aime sans doute un peu, ma petite fille ! Une main s’égare dans mes cheveux qui se sont libérés du carcan du chignon pour couler sur mes épaules, un homme, beau, un brin négligé, y glisse ses doigts … je ferai l’amour à cet homme avant la fin de la noce !